Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 10 - 6 NOVEMBRE 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La mondialisation menace la planète

Les données publiées par Rodolphe De Koninck dans Les poids du monde montrent que la croissance économique conduit à un cul-de-sac

Rodolphe De Koninck

Entre 1980 et 2002, la population mondiale s’est accrue de 40 %, soit de deux milliards d’habitants. Au cours de la même période, la production des biens et des marchandises a presque triplé, le produit intérieur brut mondial par habitant a plus que doublé et a même triplé en Asie.
Ces chiffres donnent-ils lieu de se réjouir ou de s’inquiéter? L’augmentation du taux de production réjouira sans doute Lucien Bouchard et signifie qu’il y a plus de biens disponibles par habitant. Mais cela est vrai en théorie seulement. Comme on pouvait s’y attendre, l’accroissement des richesses profite davantage aux bien nantis, alors que les conditions actuelles de la croissance économique menacent même la planète.

Ce sont les grandes conclusions du dernier ouvrage de Rodolphe De Koninck, professeur au Département de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études asiatiques. Dans Les poids du monde: évolution des hégémonies planétaires (PUQ, 2006), le professeur présente, à l’aide de 80 indicateurs et en autant de tableaux, les changements survenus sur une période de 20 ans dans la croissance démographique, l’agriculture et les pêcheries, l’énergie, l’industrie, l’économie, le domaine militaire et l’environnement.

Hausse du PIB et de la pauvreté!
On y apprend par exemple que le produit intérieur brut mondial est passé de 12 billions de dollars américains en 1981-1983 à 32,8 billions en 2003. Pour le Canada, le PIB est passé de 309 milliards à 761 milliards (toutes les valeurs sont en dollars américains courants).
Pour la même période, le PIB par habitant est passé de 11 401 $ à 27 749 $ en Amérique du Nord, mais a régressé dans l’ensemble de l’Afrique, passant par exemple de 946 $ à 376 $ en Afrique de l’Ouest.

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La production industrielle mondiale est pour sa part passée de 3,2 billions à 7 billions de dollars. La consommation énergétique n’a pas pour autant doublé, mais elle est passée de 6 millions de tonnes métriques en équivalent pétrolier à 8,5 millions de tonnes.
Les États-Unis ont augmenté leurs dépenses militaires de 60 milliards entre 1993 et 2003, ce qui représente 60 % de la hausse des dépenses mondiales, qui sont passées de 765 billions à 876 billions. Le Canada se situait au 12e rang en 1993 avec des dépenses militaires de 10 milliards, mais il ne figurait plus dans le peloton des 15 premiers pays en 2003. Malgré l’élargissement des budgets militaires, on constate que le nombre de soldats a diminué partout, même aux États-Unis; à l’échelle mondiale, on est passé de 24,8 millions de soldats à 19,8.

«Ceci montre que les budgets vont à l’achat d’armements sophistiqués, souligne Rodolphe De Koninck. Les données militaires demeurent toutefois minces parce qu’elles sont souvent peu fiables ou vendues à prix fort par les gouvernements.»

L’augmentation de la productivité a une incidence environnementale énorme. Les émissions de dioxyde de carbone sont passées de 18 milliards de tonnes à 23,5 milliards. Elles ont plus que doublé chez nos voisins du Sud et ont quadruplé en Inde!

Cul-de-sac planétaire
De cette avalanche de chiffres, le professeur De Koninck tire une dizaine de faits saillants dont une conclusion transversale implacable:«Les conditions actuelles de la mondialisation et de la croissance sont insoutenables et mènent à un cul-de-sac, déclare- t-il. L’argument des tenants de la mondialisation voulant que l’accroissement de la productivité et du commerce améliore les conditions de vie est contredit par la répartition des richesses et par les impacts environnementaux de ce développement.»

À l’origine, l’objet de ce volume était de faire le point sur l’état du commerce mondial et d’illustrer le déplacement de son centre de gravité vers l’Asie. Nous sommes maintenant en présence de trois pôles économiques majeurs: l’Amérique du Nord, l’Europe des 25 et l’Asie de l’Est, générateurs de 85 % du PIB mondial. «La montée de l’Asie n’a rien de surprenant, mais elle est maintenant documentée de façon rigoureuse», estime le chercheur.

La situation de l’Afrique, qui se marginalise, est particulièrement préoccupante. Malgré une accentuation de la production agricole – surtout du cacao, du café et du thé destinés à l’exportation –, la richesse du continent s’amenuise parce que la production de pays riches est encore plus grande et que les prix des denrées agricoles sont en recul constant.
À l’échelle mondiale, la hausse de la productivité est plus rapide que la croissance démographique alors que des pays à fort potentiel de consommation comme la Chine et l’Inde ne font que commencer à développer une économie de marché. «Si l’on atteint partout le niveau de consommation nord-américain, ça deviendra invivable, juge le chercheur. Le modèle de croissance basé sur la consommation énergétique est à remettre en question.»

Autre facteur inquiétant: les États-Unis semblent compenser leur perte de puissance économique par la domination militaire. «On est en droit de se demander si le désir d’hégémonie totale au plan militaire ne représente pas une forme de compensation pour le recul apparemment inéluctable de la puissance économique d’un pays qui demeure de loin le premier consommateur des ressources de la planète. Il semble évident que celui-ci tient à garder la main haute sur toutes les ressources d’approvisionnement et sur tous les lieux propices aux investissements», peut-on lire dans l’ouvrage.

Le poids de l’humanité pèse en définitive très lourd sur l’avenir de la planète. Mais ce n’est pas tant la hausse démographique que la «hausse qualitative» qui pose problème. «Ni les pays riches ni leurs émules ne semblent avoir l’intention de ralentir leur croissance, considérée comme indispensable au progrès de l’humanité. Dans ce contexte, on est en droit de s’inquiéter de l’avenir de la planète et de sa capacité à soutenir le poids de la compétition entre les puissances hégémoniques et les pays moins puissants contraints de suivre leur jeu», conclut le professeur.

Le volume est cosigné par Jean-François Rousseau, étudiant à la maitrise au Département de géographie.

Daniel Baril

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