Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 14 - 4 DÉCEMBRE2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La poudre de requin combat-elle le cancer?

Les étudiants font le point sur les produits de santé naturels

Spécialiste des produits de santé naturels, Jean-Louis Brazier a remporté le Prix d’excellence en enseignement 2005 dans la catégorie des professeurs titulaires.

À en croire les adeptes de la médecine douce, le cartilage de requin séché et encapsulé soignerait le cancer, l’arthrite rhumatoïde, la dégénérescence maculaire, le sarcome de Kaposi, la rétinopathie diabétique, l’entérite, le glaucome, l’athérosclérose et le prurit anal. «Les études sur ce produit sont rares et le nombre de sujets est insuffisant pour permettre de conclure à son efficacité», signale Isabelle Halley, étudiante de troisième année au baccalauréat en pharmacie, qui participait à une journée de présentation par affiches, le 24 novembre, à l’agora du pavillon Jean-Coutu.

Des études sur le cartilage de requin, ça existe? Oui, répond Mme Halley qui, dans une pharmacie de Lavaltrie où elle effec-tuait un stage, s’est fait demander le produit par un client convaincu. «On a trouvé deux études cliniques qui exploraient la question de la guérison du cancer par ce produit. Mais dans aucune on n’a noté de différence dans la survie des patients.»

Ces études de l’American Cancer Society (2005) et de l’American Society of Clinical Oncology (1998) sont pourtant contredites par une autre (sur le Neovastat en 2003 et subventionnée par la compagnie qui fait le commerce de la molécule) qui a observé une amélioration de la survie chez les personnes atteintes d’un cancer du rein en phase 2 ou 3. Mais comme le fait remarquer la jeune femme, le nombre de sujets est trop restreint pour pouvoir en tirer des conclusions...

Etudiantes

Isabelle Halley et Marie-Ève Brasseur se sont penchées sur les vertus supposées du cartilage de requin.

Au total, 187 étudiants inscrits au cours Phytothérapie, obligatoire au baccalauréat, ont scruté les effets de 30 produits de santé naturels (PSN) et rédigé un rapport au terme de leur synthèse. Pour l’apprentie pharmacienne et son équipe (formée de Marie-Michèle Benoit, Julie Bourgeois, Marie-Ève Brasseur, Geneviève Lebrun et Stéphanie Quintal), ce travail a permis de mesurer les connaissances scientifiques sur des produits auxquels on attribue des vertus parfois un peu magiques. «On a acquis dans ce cours une méthode qui va nous aider à trancher les questions que les clients nous posent», indique Isabelle Halley.

30 questions, 30 réponses
Le professeur responsable de ce cours, Jean-Louis Brazier, a voulu donner l’occasion aux étudiants de se pencher sur les PSN les plus connus et d’approfondir leurs connaissances en trouvant des réponses par eux-mêmes à leurs interrogations. La méthode qu’il a utilisée était originale: au début du trimestre, les étudiants ont été invités à formuler une question qu’ils se posent sur l’échinacée, le ginseng ou un autre produit naturel. «J’ai gardé les 30 meilleures questions et elles sont devenues leur sujet de travail du trimestre», résume-t-il.

Etudiantes

«Je ne recommanderais pas l’homéopathie pour traiter les maux de dents chez les bébés», conclut Julie Charbonneau (à droite).

Les oméga-3, le soya, les suppléments vitaminiques, le jus de canneberge, le ginkgo biloba, la glucosamine, notamment, ont fait l’objet de travaux. «C’est la troisième année que j’organise ce type de présentation, dit le professeur Brazier. Mais cette fois-ci, nous avons invité les étudiants des facultés de médecine et des sciences infirmières à venir se renseigner. Quelques dizaines d’entre eux sont venus, ce qui montre à quel point ce sujet suscite un intérêt.»

Six Canadiens sur 10 consomment des PSN, rappelle le spécialiste. On compte au pays plus de 14 000 de ces produits et à peine 1900 ont reçu l’aval de Santé Canada. «C’est un marché de quatre milliards de dollars par année, commente-t-il. Mais peu de gens sont véritablement informés sur leur composition et leurs effets.»

Jean-Philippe Lambert, chargé de cours à la Faculté de pharmacie, qui aide M. Brazier dans ce projet spécial, est pharmacien en officine. Il confirme que les clients consultent «quotidiennement» leur pharmacien au sujet des PSN. La formation universitaire ne peut donc pas faire abstraction de ce phénomène.

Le paradoxe de l’homéopathie
Pour l’équipe qui s’est intéressée à l’homéopathie et à son efficacité pour soulager les maux de dents des bébés et les otites, l’expérience a été utile... et étonnante. «L’efficacité des produits homéopathiques n’est pas démontrée, explique Maxime Thibault. Nous n’avons trouvé aucune étude sur les maux de dents et celles sur les otites sont rares, mais dans les deux cas elles se sont révélées non concluantes. Nous ne pouvons pas recommander l’usage de ces produits. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer non plus l’attitude des parents, parfois convaincus de l’utilité de l’homéopathie.»

Etudiantes

Bat Lan Phung (à droite) présente à deux visiteurs les conclusions de sa recherche sur les bienfaits de la glucosamine, sous les yeux de Le Thien-An et de Groeges Kassouf, qui faisaient partie de son équipe.

L’effet placébo, ici, n’est pas ressenti par le bébé mais par les parents. S’ils croient que leur poupon pleure moins fort et souffre moins, le but n’est-il pas atteint? «Le pharmacien doit tenir compte de l’effet placébo dans sa pratique», mentionne l’étudiant.

Autre surprise, le soya aurait des effets prouvés dans le traitement des symptômes de la ménopause. Contre-indiqué chez les femmes qui ont des prédis- positions au cancer du sein, il est «possiblement efficace et vraisemblablement sûr», selon le Natural Medicines Comprehensive Database.

La coenzyme Q-10, une molécule présente naturellement dans le cœur, le foie, les reins et le pancréas (et disponible sous forme synthétique dans les rayons de PSN), s’est de son côté avérée efficace pour traiter l’insuf- fisance cardiaque, l’hypertension artérielle et quelques autres affections cardio vasculaires. Au Japon et dans plusieurs pays européens, on l’a intégrée dans les protocoles de traitement. «Mais elle n’est pas indiquée chez les diabétiques», précise Gina Durette, qui faisait partie de l’équipe qui s’est penchée sur ce produit avec Madalina Bala, Vanessa Paquette et Isabelle Voisine.

L’ail, les probiotiques, la glucosamine, le millepertuis et les graines de lin ont aussi été passés au peigne fin par les étudiants. Ils ont en outre examiné les vertus de Cholestol, un produit à base de chitosane, qui «aide à la prise en charge du cholestérol», selon la publicité. Les médicaments traditionnels chinois, le «bois de velours» provenant des ramures du cerf rouge et du wapiti (aucune étude concluante chez l’être humain) et la «formule ostéo-rhumatoïde» de l’Indien Lakota en ont pris également pour leur rhume.

Mathieu-Robert Sauvé

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