Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 15 - 11 DÉCEMBRE 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La violence irréaliste ne choque pas les jeunes

André Caron explore la perception des jeunes au cinéma et dans les jeux vidéo

Les scènes de violence explicites mais irréelles choquent moins que les scènes où la violence n’est que suggérée mais en situation réaliste.

Les scènes de violence du film de James Wong Destination ultime (2000) sont si réalistes que la Régie du cinéma du Québec lui attribue la cote «16 ans et plus» et la mention «horreur». Mais les corps déchiquetés et l’hémoglobine qui gicle n’ont guère impressionné Sophie, 16 ans. «Il y a beaucoup de sang, de scènes dégueulasses, mais c’est tellement irréaliste que ça n’effraie pas vraiment!» a-t-elle dit à l’équipe d’André Caron. M. Caron est l’auteur d’une recherche sur les jeunes de 8 à 16 ans et le regard qu’ils portent sur les «images des nouveaux écrans dans le quotidien».

C’est étonnant ce qu’on découvre quand on fait parler les jeunes au sujet des images considérées comme choquantes, commente le professeur du Département de communication et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire sur les technologies émergentes (CITE). «Nous avons eu la surprise, par exemple, d’apprendre qu’ils étaient parfois plus choqués par des scènes moins explicites, où l’on devine ce qui se passe.»

Lorsqu’il a visionné le film Aurore, de Luc Dionne (2002), relatant l’histoire d’une enfant battue par ses parents, Denis, 16 ans, a été visiblement secoué. «On ne voit pas la petite fille se faire bruler, mais on comprend ce qui lui arrive», a-t-il mentionné avec émotion.
Par ailleurs, la vulgarité indispose plus les jeunes qu’on pourrait le penser à priori. Plusieurs ont signalé que les jurons excessifs et certaines scènes à caractère sexuel n’apportaient rien à l’histoire.

«Bibittes» contre «vraies personnes»
Au total, 56 enfants et 22 parents ont été interrogés au cours de cette recherche, qui s’est étendue sur un an. Issus de familles de la région montréalaise, ces sujets de recherche ont participé avec enthousiasme à l’enquête effectuée à la demande de la Régie du cinéma et confiée au groupe de M. Caron. Le résultat des 40 heures d’entrevues est consigné dans un document de 600 pages, et les chercheurs ont amassé une quinzaine d’heures de bandes vidéo. «En plus de mener des entretiens dirigés, nous avons utilisé un nouveau moyen de recueillir des témoignages sur le vif: nous avons fourni des caméras aux jeunes et leur avons demandé de réaliser leur reportage sur la question.»

Dans les films tournés, la censure est absente. On y apprend qu’il y a toujours un certain plaisir à enfreindre les limites d’âge établies par la Régie. Rien de plus simple que de se présenter avec son grand frère au club vidéo pour louer un film classé «18 ans et plus» et de le regarder avec d’autres adolescents.

On découvre également que les filles peuvent être de ferventes adeptes de jeux vidéo violents. Mais elles semblent un peu plus mal à l’aise dans des situations réalistes. «Si tu tues des bibittes qui viennent carrément d’une autre planète, dans ta tête, tu sais que ça n’arrive pas, indique Rosalie, 14 ans. Mais si tu tues des personnes qui te ressemblent, t’aimes moins ça.»

Même son de cloche du côté de Vanessa: «J’aime les jeux d’action qui se passent ailleurs, sur une autre planète», fait-elle remarquer en maniant sa console de jeu.

Depuis la fusillade du collège Dawson, M. Caron se fait souvent demander s’il existe des liens entre les jeux violents et le passage à l’acte. Il refuse d’associer le geste de Kimveer Gill à son affection pour des jeux très violents comme Slayer ou Super Columbine Massacre. «Les parents doivent assurer un encadrement minimal», estime le spécialiste. Ici, le vrai danger ne venait pas de ces jeux vidéo, mais du fait que le jeune homme possédait un arsenal meurtrier dans sa chambre.

Classer les jeux vidéo?
Le mandat donné au CITE par la Régie du cinéma était à la fois précis et étendu: faut-il revoir le système de classement de l’organisme?

Si les choses sont relativement simples en matière cinématographique (le pays producteur impose une catégorie, à laquelle s’ajoute celle du Québec), elles se compliquent quand on aborde le champ du divertissement.

La question des valeurs est toujours très délicate. L’équipe de recherche a procédé de façon méthodique pour que les résultats de son étude soit significatifs. En plus des groupes de discussion traditionnels, on s’est servi du journal de bord, dans lequel les jeunes devaient écrire leurs avis. Les pères et les mères ont été rencontrés à des endroits différents de façon à limiter les influences. Martin, un parent, se réjouit de voir les habiletés motrices de son enfant être stimulées par les jeux vidéo, alors qu’Annie s’inquiète davantage de la violence, de la sexualité et de la vulgarité qui se dégagent des situations de jeu.

«Notre projet se distingue parce que nous présentons trois points de vue, explique André Caron: celui des parents, celui des jeunes et celui des jeunes par rapport aux plus jeunes.»
Tout en respectant l’attribution des limites d’âge, les sujets plus âgés étaient en effet appelés à prendre position sur les catégories de la Régie. C’est à cette occasion qu’ils ont exprimé leurs émotions quant aux scènes plus implicites des films d’horreur.

Dans le rapport de 250 pages remis par le groupe de recherche en novembre, diverses approches sont proposées pour guider la Régie dans son classement des jeux vidéo. On y recommande une «réactualisation de la classification des films» à la lumière des nouveaux points de vue. On souhaite enfin sensibiliser les jeunes et les parents aux normes de classement des «produits médiatiques appelés à occuper de nombreux écrans à l’avenir.»

Mathieu-Robert Sauvé

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