Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 15 - 11 DÉCEMBRE 2006
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 Archives de Forum

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Montréal s’anglicise-t-elle?

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Marc Termote

Les francophones forment à peine 55 % de la population de l’île de Montréal et pourraient devenir minoritaires dans une quinzaine d’années. L’île s’anglicise-t-elle? «On ne peut pas dire ça, répond le démographe Marc Termote, professeur associé au Département de démographie, qui mène des travaux sur ce thème depuis une vingtaine d’années. Lorsqu’on observe la langue d’usage à la maison, le français est en déclin, oui, mais pas au profit de l’anglais. Ce sont les autres langues, comme l’arabe ou l’espagnol, qui gagnent du terrain.»

Pourquoi le français recule-t-il? Parce que plusieurs facteurs démographiques jouent contre la langue de Molière, observe le spécialiste.Il souligne d’abord que la région métropolitaine de Montréal (3,4 millions d’habitants), l’île de Montréal (1,8 million) ou l’ancienne «ville de Montréal» (1 million) ne présentent pas le même visage linguistique.Dans la «ville de Montréal», soit l’agglomération correspondant à présent à l’arrondissement de Ville-Marie, 64 % des gens disent parler français à la maison, mais moins de 44 % le font dans le reste de l’île. Quand on considère l’ensemble de la région métropolitaine, un bassin de population qui compte la moitié des Québécois, le français redevient majoritaire.

Le professeur Termote, directeur du Centre interuniversitaire d’études démographiques, évoque pour expliquer le déclin du français la faible fécondité des francophones, l’immigration allophone massive et l’étalement urbain, un phénomène qui touche majoritairement les francophones. «Les allophones sont très concentrés dans les zones urbaines. Ce ne sont pas eux qui s’installent en banlieue.»

Avec 1,3 enfant par femme, la fécondité des femmes francophones de l’île de Montréal est plus faible que celle des allophones (environ 1,6) et même que celle de l’ensemble du Québec (1,5). «Cela signifie que les non-francophones font beaucoup plus d’enfants que les francophones. Cette situation contribue forcément au recul du français», résume M. Termote, qui rappelle qu’il faut 2,1 enfants par femme pour renouveler la population.

Les anglophones s’en vont
Depuis que le gouvernement fédéral a accordé aux provinces le droit de choisir ses immigrants, le Québec juge que la connaissance du français est un atout pour les candidats à l’immigration. Cette politique fonctionne bien, selon M. Termote, mais elle est insuffisante pour renverser la tendance. Actuellement, le Québec reçoit environ 45 000 immigrants par année. Un bon nombre de ces néo-Montréalais adoptent la langue française (comme l’a démontré une étude du sociologue Jean Renaud publiée en 2001), mais d’autres quitteront le Québec pour s’établir ailleurs au Canada ou aux États-Unis.

Autre facteur important, les anglophones continuent de préférer d’autres villes canadiennes. La communauté anglo-montréalaise perd environ un pour cent de son effectif annuellement, estime-t-on. «Sans cet exode, le français aurait été minoritaire à Montréal depuis longtemps», lance le démographe.

Marc Termote insiste pour dire que ces données se limitent à la langue d’usage à la maison et ne tiennent pas compte de la langue de travail ni plus généralement de la langue utilisée dans la sphère publique. «Le français est indiscutablement la langue publique majoritaire, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais nous avons choisi d’étudier la langue d’usage à la maison parce que cet élément semblait être le meilleur critère pour juger de l’intégration des immigrants et de l’avenir linguistique et culturel du Québec.»

Cela dit, le recul de la langue d’usage à la maison préoccupe M. Termote. «Je me demande comment on réagirait si l’on apprenait qu’à Paris la moitié de la population ne parle pas français à la maison. On a presque atteint ce seuil à Montréal, l’une des grandes villes francophones du monde.»

Autrefois, ce que le français perdait, l’anglais le gagnait. «Aujourd’hui, le jeu se fait à trois: les francophones, les anglophones et les allophones.» Mais ces allophones ne sont-ils pas appelés à choisir le français à long terme? Bien sûr, reconnait M. Termote, et c’est là que se joue l’avenir du français à Montréal. «De nombreux allophones deviendront éventuellement des francophones. Particulièrement chez les immigrants dont la langue, de souche latine, est proche du français: espagnol, portugais, italien… Mais cette intégration est longue et prend parfois une ou deux générations. Entretemps, les autres facteurs démographiques comme la dénatalité et l’étalement urbain continueront de faire baisser le poids démographique des francophones sur l’île.»

L’intégration est un processus lent et complexe. Marc Termote en sait quelque chose, lui qui est arrivé de Belgique avec sa famille dans les années 70. Ses deux enfants, Anne et Marc, étaient devenus des «pure laine» quand on les entendait parler. Pourtant, les deux ingénieurs formés à l’École polytechnique ont choisi de retourner vivre en Europe.

M. Termote vient de terminer un grand portrait du français au Québec pour le compte de l’Office québécois de la langue française. Actuellement sous presse, cette étude fera le point sur l’évolution linguistique du français. Annonce-t-elle des solutions? «Nous, démographes, sommes reconnus pour être porteurs de mauvaises nouvelles. Nous annonçons que la société vieillit, qu’elle ne fait pas assez d’enfants, etc. Pour les solutions, c’est pareil: le démographe est plutôt pessimiste quant à la possibilité de renverser des tendances lourdes.»

Mathieu-Robert Sauvé

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