Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 17 - 22 JANVIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Découverte d’un lien génétique entre QI et comportements extériorisé

Un gène de la dopamine protègerait contre les déficits intellectuels

Et si c’était la recherche démesurée de gratification rapide qui, provoquant un surcroit de dopamine, agissait sur les habiletés cognitives des gens aux prises avec des troubles du comportement?

Chez les hommes, on observe généralement une corrélation inverse modérée entre le quotient intellectuel (QI) et des comportements extériorisés tels que l’agressivité, l’impulsivité, les troubles de l’attention et l’hyperactivité; plus le quotient intellectuel est faible, plus le risque de comportements extériorisés est grand.

L’une des hypothèses formulées pour expliquer cette corrélation serait que des habiletés cognitives faibles ne permettent pas à la personne d’exercer un contrôle adéquat sur son impulsivité. Mais le sens du lien pourrait aussi être l’inverse dans certains cas. Une étude interuniversitaire de neuf chercheurs, dont trois du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP), vient de tracer un profil génétique grâce auquel il est possible de préciser et de mieux comprendre le lien entre l’intelligence et les troubles du comportement.

Selon cette étude, dont les résultats sont parus dans le numéro de décembre 2006 de la revue Archives of General Psychiatry, la plus importante publication en psychiatrie, la corrélation s’avère plus forte qu’on le pensait chez 80 % des hommes alors qu’elle est absence chez les autres, une absence due à une variante génétique particulière.

La dopamine
La clé de l’équation passe par les gènes des récepteurs de dopamine. «La dopamine est un neurotransmetteur associé à la recherche du plaisir et de la gratification ainsi qu’au contrôle de l’attention et des mouvements, signale Jean Séguin, professeur au Département de psychiatrie et membre du GRIP. Les personnes très impulsives, agressives et les joueurs compulsifs ont souvent un niveau de dopamine excessif.»

Une grande concentration de ce neurotransmetteur est également associée à la schizophrénie, tandis qu’une trop faible proportion est associée à la maladie de Parkinson. «On sait également qu’un excès de dopamine dans les lobes frontaux, où certains récepteurs dopaminergiques sont plus nombreux, a un effet négatif sur les fonctions cognitives liées au quotient intellectuel, ajoute le chercheur. Un niveau élevé de dopamine a donc une double incidence chez certains individus : il augmente l’impulsivité et nuit aux habiletés intellectuelles.»

La mécanique par laquelle la dopamine agit sur les fonctions intellectuelles est mal connue, mais on sait qu’une concentration trop forte suractive certains de ses récepteurs, plus précisément les récepteurs D4. Ce dérèglement perturberait les signaux drécepteurs dans les lobes frontaux, où se trouve le centre du contrôle des comportements, d’où les troubles qui s’ensuivent.

Ceci a amené l’équipe interuniversitaire (universités de Montréal, de Toronto, Yale, McGill et de Western Ontario) à regarder du côté du gène qui code pour ces récepteurs de dopamine, soit le gène DRD4. Des études antérieures ont déjà permis d’en repérer plusieurs variantes, dont l’une (le DRD4-7R) a pour effet de rendre les récepteurs D4 moins efficaces.

«Nous avons voulu savoir si le lien inverse entre intelligence et trouble du comportement était observable chez les porteurs de cette variante», mentionne Jean Séguin. Trois cohortes (deux ontariennes et une québécoise), constituées pour des études sur les liens entre l’environnement, la génétique et le comportement, ont servi à vérifier l’hypothèse. Résultat: chez les porteurs du gène DRD4-7R, présent chez environ 20 % de la population, la corrélation est totalement inexistante. Ceux qui, parmi ces 20 %, présentent des problèmes d’impulsivité et de comportements extériorisés ne souffrent pas nécessairement de déficit intellectuel.

«L’origine du déficit intellectuel pourrait donc être due à la suractivation des récepteurs D4, estime le professeur Séguin. En rendant ces récepteurs moins efficaces, la variante génétique en question limiterait leur suractivation, ce qui protègerait l’individu contre ce déficit intellectuel.»

Gène, QI et environnement
Cette découverte, si elle permet de mieux comprendre l’équation générale entre impulsivité et habiletés cognitives, a des retombées sur les plans des interventions cliniques et de la poursuite des travaux de recherche.

«Ces résultats pourraient permettre aux cliniciens de faire de meilleurs diagnostics et de meilleurs choix thérapeutiques. Les thérapies cognitives auprès d’hommes agressifs porteurs de la variante et dont le QI est normal, par exemple, pourraient avoir plus de chances de réussite qu’auprès des autres parce qu’on pourrait parvenir à les raisonner», soutient le psychologue.

Par ailleurs, la découverte oblige à repenser le sens de la corrélation entre troubles comportementaux et habiletés intellectuelles déficientes. «On pense généralement que c’est le QI qui influe sur le comportement; toutefois, à la suite de notre découverte, nous sommes portés à penser que c’est la tendance exagérée à la recherche de récompenses – provoquant un surcroit de dopamine – qui agirait sur les habiletés cognitives», affirme Jean Séguin.

Jean Séguin

Jean Séguin

Le professeur met toutefois en garde contre un déterminisme génétique excessif. «Nos travaux portent sur l’interaction entre gène et environnement et l’on sait que l’expression de certaines prédispositions génétiques ne se fait que dans un contexte particulier», précise-t-il. Il donne comme exemple la monoamine oxydase: un faible taux de cet enzyme est associé à des comportements violents, mais seulement lorsque la personne a elle-même été victime d’agressions dans son enfance.

«Il faut donc tenir compte de l’histoire de vie de chacun et nous poursuivons nos travaux dans ce sens afin de préciser davantage le lien ou l’absence de lien entre troubles extériorisés et déficit intellectuel.»

Outre Jean Séguin, un autre signataire de l’article est de l’UdeM, soit Richard Tremblay, professeur aux départements de psychologie, de psychiatrie et de pédiatrie.

Daniel Baril

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