Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 19 - 5 FÉVRIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les oiseaux en couple coopèrent plus que les «célibataires»

Une étudiante dépose un mémoire sans précédent sur la coopération chez les oiseaux

Certaines espèces d’oiseaux monogames comme les diamants mandarins coopèrent lorsqu’ils sont en couple pour assurer leur survie.

Les oiseaux en couple coopèrent davantage que les individus non appariés. C’est la conclusion à laquelle est parvenue Angèle St-Pierre à l’issue d’une expérience menée avec des diamants mandarins, des oiseaux originaires d’Australie et dont une cinquantaine sont gardés en captivité dans le laboratoire de Frédérique Dubois, professeure au Département de sciences biologiques.

«Nous soupçonnons depuis longtemps que les oiseaux, dont la plupart des espèces sont monogames, agissent en fonction du bien commun quand ils se nourrissent et construisent leur nid. Mais, en laboratoire, cela n’avait jamais été démontré de façon explicite», souligne l’étudiante, qui entame actuellement la rédaction de son mémoire de maitrise.

C’est en appliquant chez ses sujets de recherche le «dilemme du prisonnier» (voir l’encadré) que la biologiste a pu tester son hypothèse. Bien connu en psychologie expérimentale, le dilemme du prisonnier est la plus célèbre illustration de la théorie des jeux, une approche mathématique qui traite des problèmes de stratégie. Après une séance d’essais-erreurs au cours de laquelle les oiseaux devaient apprendre à se rappeler les conséquences de leurs actes au moment de s’alimenter, ils ont immanquablement choisi la stratégie la plus bénéfique à long terme.

«Quand la cloche sonne, a expliqué la jeune femme en présentant à Forum le dispositif complexe de répartition de la nourriture dans la cage qu’elle a mise au point, les oiseaux savent qu’ils vont être nourris. Ils ont alors deux choix: se diriger vers le perchoir ou demeurer au sol. Si les deux individus optent pour le perchoir, ils recevront chacun trois graines. Si un seul y grimpe et que l’autre reste au sol, ce dernier recevra cinq graines alors que celui du haut n’en aura aucune. S’ils demeurent tous deux au sol, ils ne recevront qu’une seule graine chacun.»

Les expériences réalisées avec des individus «célibataires» ont montré, sans l’ombre d’un doute, que le comportement jugé le plus avantageux pour eux est de demeurer au sol. Ils ne reçoivent qu’une seule graine par séance, mais au moins ils ne risquent pas de faire chou blanc. Les couples, en revanche, parviennent à trouver la combinaison la plus profitable pour les deux: le perchoir (trois graines chacun). «Il semble que les oiseaux en couple pensent différemment des autres», résume la chercheuse.

Les oiseaux sont-ils moins égoïstes?
Cette expérience illustre clairement la coopération, un principe observé dans la nature, mais difficile à reproduire dans des conditions contrôlées. On sait que les chauves-souris vampires qui réussissent à s’alimenter durant leurs chasses nocturnes partagent leur repas avec leurs congénères moins chanceux. «C’est la première fois qu’on établit un lien entre la monogamie et la coopération», signale Frédérique Dubois, dont une étude précédente portait sur le divorce chez les oiseaux (voir Forum du 26 septembre 2005).

Il faut savoir que la monogamie chez les oiseaux n’est pas une excentricité de la nature. Comme les deux parents sont généralement nécessaires dans le nid dès l’incubation jusqu’à l’éclosion des œufs et même après, l’évolution a favorisé les couples qui s’entraidaient. Chez les mammifères, la présence des deux parents n’est pas aussi indispensable, c’est pourquoi la monogamie est beaucoup plus rare.

Les petits diamants mandarins, dont on a formé les couples juste avant l’expérience d’Angèle St-Pierre, se sont avérés d’excellents sujets de recherche. «Nous arrêtions l’expérience lorsque le comportement atteignait les 100 %, relate-t-elle. Les oiseaux choisissaient leur perchoir et reproduisaient leur geste plusieurs dizaines de fois de suite.»
Sans compter les semaines d’entrainement, les quatre couples qui ont participé à la recherche ont été observés pendant 30 jours chacun. Durant la période d’expérimentation, ils ont été soumis à deux séances de 50 minutes par jour. La cloche sonnait toutes les deux minutes. Sur une vidéo tournée pendant l’expérience, on voit que les oiseaux prennent très rapidement leur décision. En quelques secondes, le mâle et la femelle ont fait leur choix.

 

Angèle St-Pierre

Angèle St-Pierre se cherchait un sujet lié au comportement animal. Elle a travaillé avec les diamants mandarins de Frédérique Dubois.

Y a-t-il un lien à faire avec les êtres humains, dont l’horizon parait s’élargir lorsqu’ils rencontrent l’âme sœur? Angèle St-Pierre hésite à se prononcer, mais indique que les animaux ne sont peut-être pas si égoïstes qu’on pourrait le croire. «En tout cas, les couples de diamants mandarins ont su maintenir la coopération, contrairement à deux inconnus dans la même situation. Cela révèle qu’ils peuvent penser à plus long terme.»

Une professeure sur mesure
Quand Angèle St-Pierre a terminé ses études de baccalauréat en biologie animale à l’Université McGill, en 2005, elle a cherché un professeur capable de la diriger dans son travail de deuxième cycle sur le comportement animal. «Ce sujet m’a toujours intéressée, dit-elle. Je veux comprendre pourquoi les animaux agissent comme ils le font. Cela nous renseigne sur eux, mais aussi sur nous.»

Après avoir effectué quelques recherches auprès de différentes universités, elle a découvert les travaux de Frédérique Dubois, embauchée par l’Université de Montréal en 2004. «On a parlé de nos champs d’intérêt respectifs. Elle m’a aussitôt ouvert sa porte», se souvient l’étudiante.

L’idée d’appliquer le dilemme du prisonnier aux oiseaux en couple est venue de la professeure Dubois, mais Angèle St-Pierre a fabriqué la cage et procédé à l’expérience. Elle compte présenter ses résultats dans un article scientifique.

Mathieu-Robert Sauvé

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