Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 20 - 12 FÉVRIER 2007
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 Archives de Forum

Pas de panique pour les accros de jeux électroniques

Les sports électroniques correspondent souvent à une période de l'adolescence, déjà caractérisée par maints excès, soutient la doctorante Samuelle Durocq-Henry

Les tournois de jeux en réseau existent en Europe depuis plusieurs années, mais ils connaissent une popularité grandissante au Québec. Photo: Christian Sirois.

Du 20 au 22 octobre dernier, au cégep de Granby, 75 personnes ont pris part à un concours de jeux vidéo. Grâce à un système d’ordinateurs reliés en réseau, les participants ont tous joué les uns contre les autres pendant deux jours. Le gagnant, Dafou, était si heureux de sa bourse de 250 $ qu’il a envoyé un commentaire enthousiaste aux organisateurs: «Sérieux, j’ai eu trop de fun, j’en reviens même pas que ce soit fini et que je dois (sic) retourner travailler aujourd’hui.»

Ce tournoi de jeux en réseau (de l’anglais «LAN party» pour local area network ou réseau local) n’était qu’une des 33 activités analogues mises sur pied en 2006 au Québec. Quelques mois plus tôt, ils étaient 400 à participer au LAN ETS, organisé à l’École de technologie supérieure de Montréal. Il y a aussi eu des tournois à Saint-Hyacinthe, Sept-Îles, Chibougamau et Rouyn-Noranda.

Nouveau au Québec (le premier tournoi de jeux en réseau a eu lieu en novembre 2001), le «sport électronique» est déjà très en vogue en Europe, où des milliers de concurrents cherchent à gagner des bourses qui atteignent les 100 000 €. Il existe même une «coupe du monde» du sport électronique. «Le joueur type est un garçon, dans 95% des cas, âgé de 16 à 22 ans. Il peut passer jusqu’à 10 heures d’affilée devant son ordinateur lorsqu’il se prépare pour une compétition», explique Samuelle Ducrocq-Henry, qui mène actuellement une recherche de doctorat sur ce sujet.

Pour elle, les compétitions de jeux électroniques sont un nouveau type de sport. «Ces jeux font appel à la concentration, aux réflexes et à la précision. C’est, à mon avis, un sport au carrefour du tir à l’arc, des échecs, de l’interprétation musicale et de la course automobile. Comme les épreuves se déroulent en équipe, il y a un fort esprit de camaraderie qui se développe parmi les adeptes», dit-elle.

Durant les compétitions, les équipes de deux à quatre joueurs croisent le fer par l’intermédiaire de jeux tels que Warcraft ou Counter-strike. Les gagnants de la première ronde se rendent en éliminatoires et les champions sont couronnés au terme de 5 à 10 parties, selon le nombre d’équipes en lice

Recherche ethnographique
Pour mieux connaitre ce phénomène en émergence, l’étudiante au doctorat a entrepris une véritable recherche ethnographique qui l’a conduite d’un tournoi à l’autre. Elle a distribué des questionnaires à quelque 300 joueurs en réseau et réalisé des entrevues avec des dizaines d’entre eux. Certains ont été suivis pendant deux ou trois ans, ce qui lui a permis de préciser quelques lignes directrices.

«Beaucoup de gens s’inquiètent de voir les jeunes s’isoler dans leur chambre pour jouer à des jeux vidéo. Pour moi, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Oui, pour perfectionner leurs techniques, les plus mordus s’y adonnent corps et âme. Mais cela correspond à une période de l’adolescence, déjà caractérisée par maints excès. Après deux ou trois ans, en général lorsqu’une vie de couple s’organise ou que le travail ou les études prennent le dessus, l’intérêt plafonne et l’on délaisse l’activité.»

Les anciens joueurs seraient même avantagés, aujourd’hui, sur le marché du travail. «Ils sont techniquement très habiles et peuvent travailler dans un contexte multitâche. Certaines entreprises américaines les recherchent particulièrement pour occuper des postes de gestion.»

Mais les médias ont beaucoup fait état de la perte d’identité des joueurs. Le personnage virtuel occupe-t-il trop de place dans la tête des accros? «Pas dans ce type de jeu, car l’esprit d’équipe est fondamental pour réussir», assure la doctorante, qui a terminé une bonne partie de sa thèse au programme commun de communication des universités de Montréal, du Québec à Montréal et Concordia.

De plus, le fait que les joueurs doivent se rassembler physiquement dans un même lieu pour participer aux tournois encourage les échanges et les rencontres. La spécialiste fait remarquer, d’ailleurs, qu’aucun incident déplorable n’est survenu dans l’histoire des compétitions québécoises. «Cela en dit déjà beaucoup. N’oubliez pas qu’on réunit dans une salle pendant deux ou trois jours d’affilée des centaines d’adolescents passionnés...»

Samuelle Durocq-Henry

Samuelle Durocq-Henry

Une femme chez les joueurs
Samuelle Ducrocq-Henry, 29 ans, ne passe pas inaperçue dans les tournois de jeux en réseau. D’où vient son intérêt pour les jeux vidéo? «J’ai eu ma petite période Nintendo», concède-t-elle. Elle aussi a beaucoup fait courir «Mario Bros» dans ses labyrinthes. Au final, sa «phase accro» n’aura occupé que deux années de son adolescence. Mais la curiosité est demeurée chez cette Française d’origine, établie au Québec depuis 1996.

Il y a des différences notables entre les filles et les garçons en matière de jeux vidéo. Les uns sont très friands de jeux d’action où la violence prédomine et les autres préfèrent les jeux d’adresse, d’aventure ou de stratégie. «Je crois qu’il y a du travail à faire du côté des entreprises de jeux vidéo. Les scénarios de ces jeux comportent un peu trop de violence gratuite, qui est un élément vendeur. Ces sociétés devraient élaborer davantage de scénarios plus ficelés.»

Une nouvelle tendance réside dans la création de jeux vidéo à visée pédagogique et même thérapeutique. On les appelle serious games. Des personnes atteintes de cancer apprennent à visualiser les cellules malignes de leur tumeur en les bombardant virtuellement par exemple.

Avant d’entreprendre son doctorat, Samuelle Ducrocq-Henry a fait en 2001 une maitrise en communication à l’UQAM, option multimédia interactif, qui lui a valu une mention d’excellence. Elle avait auparavant obtenu un baccalauréat ès arts également à l’UQAM et passé une année à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art de Paris. Dès 2002, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue lui offrait un poste de professeure. Elle a depuis poursuivi en parallèle son doctorat et ses activités professorales et de recherche.

D’ailleurs, un travail de recherche qu’elle a dirigé, le Bestiaire immersif (un DVD-ROM interactif présentant des créatures légendaires du monde réalisé par plus de 50 étudiants et professeurs de 10 universités), s’est vu accorder le prix spécial du jury du prix Mobius international 2006. Elle siège en outre au conseil d’administration du Festival Arcadia de jeux vidéo de Montréal, dont elle a conceptualisé le volet pédagogique, consacré à la recherche et à la formation.

Mathieu-Robert Sauvé

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