Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 21 - 19 FÉVRIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les adolescents s’intéressent plus qu’on pense à la politique

Mais l’intérêt des jeunes tombe quand ils sont en âge d’aller voter

Ces élèves de l’école River Heights Elementary School, en Alberta, dépouillent les votes à l’issue d’un scrutin local. À l’adolescence, ils auront déjà une certaine expérience du processus électoral.

Lorsqu’on invite les adolescents montréalais à évaluer leur intérêt pour la politique sur une échelle de 0 à 10, plusieurs donnent une note supérieure à 6. «C’est déjà pour moi une surprise. Les jeunes sont moins apathiques que les préjugés le laissent entendre», commente Eugénie Dostie-Goulet, dont la thèse de doctorat au Département de science politique porte sur les adolescents et la politique.

Pour les besoins de sa recherche, la jeune femme de 26 ans a mené une vaste enquête auprès de 760 élèves de troisième secondaire afin de connaitre leurs opinions sur l’actualité politique. Les réponses obtenues sont étonnantes. «Les jeunes ont des opinions éclairées sur plusieurs sujets liés à la politique nationale ou internationale, dit-elle. Ils sont de plus très critiques. Le mensonge, la corruption, les fausses promesses, c’est ce qu’ils détestent le plus chez les politiciens.»

L’originalité de cette recherche est qu’elle s’étend sur plusieurs années, de façon à voir comment progressera le rapport des  jeunes avec la politique. «La littérature scientifique sur le sujet est extrêmement rare et remonte aux années 70, explique la chercheuse. À cette époque, on a surtout étudié l’influence parentale sur les attitudes électorales des enfants. Notre étude est différente. Il s’agit de découvrir les attitudes et opinions des jeunes eux-mêmes pour ce qu’elles sont et de voir comment elles vont évoluer sur plusieurs années.»

Les jeunes sondés avaient 14 et 15 ans au moment de la première rencontre. Ils seront de nouveau interrogés en quatrième puis en cinquième secondaire. Ils auront ensuite le droit de vote.

Voilà où la recherche d’Eugénie Dostie-Goulet pourrait s’avérer le plus utile. «Moins du quart des électeurs de 18 ans votent, souligne-t-elle. On aimerait mieux comprendre pourquoi ils sont si nombreux à s’abstenir.»

Ce phénomène de l’abstention chez les jeunes adultes préoccupe les politologues. Selon une recherche de Jon Pammett et Lawrence LeDuc effectuée en 2000, 38,2 % des électeurs canadiens qui ont eu 18 ans en 1993 ont exercé leur droit de vote aux élections fédérales de 2000. Ceux qui ont atteint la majorité en 1997 n’ont été que 27,5 % à déposer leur bulletin dans l’urne et ceux qui pouvaient voter pour la première fois en 2000 n’ont été que 22,4 % à le faire.

Pourquoi s’abstiennent-ils autant s’ils manifestent un intérêt pour la politique plus tôt dans l’adolescence, comme tend à le démontrer l’étude de Mme Dostie-Goulet? «Pour l’instant, c’est une question sans réponse. Et j’aime les questions sans réponse», lance la doctorante en esquissant un sourire.

Études et engagement
Sous la direction d’André Blais, professeur spécialisé dans l’analyse du comportement de l’électorat, Eugénie Dostie-Goulet poursuivra sa recherche au cours des trois prochaines années.

S’il est vrai qu’il serait hâtif de tirer la moindre conclusion, elle émet l’hypothèse que des mythes entourent les jeunes au chapitre de leur engagement dans la vie publique. «J’ai le sentiment que les jeunes sont plus politisés qu’on pense, indique-t-elle. Cette recherche permettra peut-être d’en apprendre davantage à ce sujet.»

Il est important d’étudier cette question puisque les habitudes électorales s’acquièrent très tôt dans la vie. Des chercheurs ont découvert dans les années 90 que voter est une habitude qui se prend jeune. Et inversement. C’est donc essentiel de comprendre ce qui distingue les jeunes qui négligent d’exercer leur droit de vote et ceux qui, au contraire, s’en prévalent à la première occasion.

En matière d’engagement, Eugénie Dostie-Goulet est un modèle en soi. Présidente de l’Association des étudiants des cycles supérieurs en science politique de l’Université de Montréal, elle a toujours accordé une bonne place à ses propres activités politiques. En 2001 et 2002, par exemple, alors qu’elle étudiait à l’Université de Sherbrooke, elle a animé l’émission Politique en direct à la station CFLX 95,5. Durant les mêmes années, elle a participé à une simulation des travaux de l’Organisation des Nations unies. Puis, en 2005, elle a suivi un stage d’été en psychologie politique à l’Université Stanford.

Vote et mariage gai
Sur le plan universitaire, sa recherche précédente a obtenu beaucoup de succès dans le secteur de la science politique. En 2005, l’étudiante déposait à l’UdeM un mémoire de maitrise sur l’impact du mariage gai sur les élections fédérales de 2004. Un article synthèse vient de paraitre dans la revue Politique et sociétés (volume 25, numéro 1).

Dans ce travail, la jeune femme a voulu savoir si le débat sur le mariage gai a influencé les électeurs. La réponse est oui. «Nous avons calculé que plus de 4 électeurs sur 100 ont voté différemment en raison de cet enjeu électoral, signale-elle. Une proportion qui a atteint six pour cent dans l’Ouest canadien.»

C’est grâce à l’Étude électorale canadienne (une étude dont André Blais est un des principaux responsables) qu’Eugénie Dostie-Goulet a pu obtenir les réponses de 3275 entrevues réalisées avant et après les élections qui ont porté les conservateurs de Stephen Harper au pouvoir. «Nous croyons que, si cet enjeu n’avait pas fait partie des considérations des électeurs, le résultat du scrutin aurait été différent, certains électeurs ayant alors voté pour un autre parti que celui qu’ils ont choisi», écrit-elle dans sa présentation des résultats.

Cependant, le Parti conservateur (seul parti ouvertement opposé au mariage gai) n’a pas bénéficié du déplacement des votes, puisque les électeurs qui étaient en faveur du mariage gai ont été nombreux à privilégier le Nouveau Parti démocratique ou le Parti libéral. «Cette étude démontre finalement que mettre l’accent sur les enjeux moraux, même si cela suscite l’émotion, n’a pas vraiment plus d’effet qu’une campagne sur l’économie ou la santé», conclut-elle.

Mathieu-Robert Sauvé

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