Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 24 - 19 MARS 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Qui pratique les sports extrêmes?

La consommation de drogue est très présente chez les surfeurs des neiges

Selon une étude de Linda Paquette, plusieurs surfeurs des neiges fumeraient leur petit joint avant de glisser sur les pentes.

On les voit se lancer du haut des tours d’habitation en parachute, escalader à mains nues des parois de glace ou se jeter à corps perdu dans des rapides tumultueux. Mais qu’est-ce qui fait courir les adeptes des sports extrêmes? «Ils aiment le risque, répond Linda Paquette, qui rédige actuellement une thèse de doctorat sur ce sujet au Département de psychologie. Dans une société où le confort physique est assuré à la grande majorité de la population, se confronter avec la mort est une sensation incomparable.»

Dans cette étude – la première réalisée au Canada sur les jeunes et la prise de risques dans les sports extrêmes –, la jeune femme a recueilli les témoignages de 685 jeunes de 14 à 19 ans vivant à proximité de centres de ski majeurs des Laurentides et de la région de Québec. Grâce à des questionnaires très détaillés, elle a obtenu de précieux renseignements sur leurs habitudes en matière de sports extrêmes. «Je me suis concentrée sur la pratique du surf des neiges, précise la doctorante. J’ai voulu savoir ce qui distinguait certains sportifs disposés à prendre des risques élevés de ceux qui se contentent d’une pratique traditionnelle.»

Le surf des neiges connait une popularité grandissante au Québec. Mais ce nouveau sport de glisse est responsable de près de 10 % des traumatismes d’origines sportive et récréative, selon l’Institut national de santé publique du Québec. Un pourcentage en augmentation. Sur les pistes, on enjoint les surfeurs à respecter les consignes de sécurité, mais plusieurs les enfreignent. C’est même parfois un défi supplémentaire de transgresser les règles...

«La plus grande surprise que nous avons eue à la lecture des réponses, c’est d’apprendre que les surfeurs consommaient de la drogue. Environ 30 % des répondants disaient s’être adonnés à leur activité sous l’effet du cannabis au moins une fois au cours des 12 derniers mois. Il ne s’agit pas d’une donnée scientifiquement représentative de l’ensemble de la population, mais c’est un résultat clair. Cela semble énorme.»

Par ailleurs, les surfeurs «extrêmes» semblent friands de prouesses, et 4 sur 10, selon les données de Linda Paquette, se font filmer par leurs amis durant la descente... «Je crois que notre société valorise la prise de risques. On le constate par la teneur des annonces publicitaires, au cinéma et à la télévision. Les jeunes sont perméables à cette influence», commente-t-elle.

Quatre profils
«On peut tracer un profil type de l’athlète extrême. C’est un homme dans la force de l’âge, sûr de lui, ayant des amis qui pratiquent les sports extrêmes, stable psychologiquement, extraverti, qui recherche les sentiments d’autodétermination, de maitrise, de plénitude et d’excitation que son environnement ne lui fournit pas par des moyens socialement acceptables, écrit la doctorante dans la présentation de son projet. Loin de percevoir le risque comme un danger, il le voit comme un défi à relever, une épreuve qu’il évalue soigneusement avant de l’affronter.»

L’étudiante, qui fait son doctorat sous la codirection de Jacques Bergeron (Département de psychologie) et d’Éric Lacourse (Département de sociologie), en est à l’étape de l’analyse des résultats. Elle a d’abord effectué une revue exhaustive de la littérature qui lui a permis de cerner des différences fondamentales d’un sportif extrême à l’autre. «Certaines personnes prennent des risques afin de stimuler leur estime de soi. Chaque défi relevé représente pour elles une démonstration de la réussite dont elles sont capables. Chez d’autres, la prise de risques est au contraire une fuite des problèmes. Selon nos données, elles sont plus nombreuses que dans le premier groupe à consommer des psychotropes, probablement pour les mêmes raisons.»

Chez certains jeunes, les deux mécanismes de régulation émotionnelle cohabitent. Le preneur de risques «à la recherche d’un accomplissement» supplante celui «qui fuit ses problèmes» selon l’humeur du moment. «Quand on pousse l’observation davantage, on trouve plusieurs disparités à l’intérieur de ces catégories. J’ai donc établi une typologie de l’athlète qui comprend quatre types de preneurs de risques.»

Selon Linda Paquette, il y a les «prudents» (ils prennent peu de risques et font attention de ne pas se blesser), les «adeptes de l’accomplissement ou edgeworkers» (ils prennent beaucoup de risques, mais respectent les règles et les mesures de sécurité), les «adeptes de l’accomplissement qui fuient leurs problèmes par la recherche de sensations» (ils prennent beaucoup de risques et ne s’embarrassent pas de précautions) et ceux qui «utilisent la recherche de sensations comme moyen de fuite des problèmes» (ils prennent des risques de façon modérée, sont peu portés sur la sécurité et souffrent d’une grande détresse psychologique). Leur attitude à l’égard des drogues est très différente également: alors que les deux premiers types ne sont pas très intéressés par le «petit joint», les derniers aiment bien fumer avant de se lancer sur les pistes.

Linda Paquette

Linda Paquette

Pas de jugement
Linda Paquette se défend bien de porter un jugement de valeur sur les jeunes qui pratiquent des sports extrêmes. «Je ne suis pas là pour dire si c’est bien ou mal de prendre des risques sur une pente de ski. Moi, je m’intéresse aux mécanismes de régulation émotionnelle en jeu dans la prise de risques. Je trouve que c’est un domaine fascinant.»

Dans l’introduction de son texte de synthèse, la psychologue décrit l’émotion qui s’empare de celui qui s’apprête à sauter en parachute. «Votre système sympathique s’active et votre cœur bat jusqu’à trois fois plus rapidement, votre pression sanguine augmente, votre bouche s’assèche et vous ressentez le besoin d’éviter ce qui s’apprête à se produire [...] En moins de quelques millisecondes, votre hypothalamus commence à décharger de la corticolibérine qui oblige la glande pituitaire à sécréter de l’adrénocorticotrophine [...], ce qui vous donne l’impression d’avoir des papillons dans l’estomac.»

C’est au cours de ses études à l’Université du Québec à Chicoutimi que Linda Paquette a eu l’idée d’étudier les pratiques sportives à risque. Durant son stage auprès d’adolescents dans une unité de psychiatrie, elle a remarqué que plusieurs jeunes adoptaient des comportements à risque. Après sa maitrise, elle a donc cherché un professeur capable de la diriger dans son projet doctoral. Jacques Bergeron, reconnu pour ses travaux sur les conducteurs automobiles et leurs attitudes à risque, s’est avéré la personne toute désignée.

Son autre codirecteur, Éric Lacourse, étudie la délinquance et les sous-cultures marginales chez les jeunes. La pratique de sports à risque n’a pas vu  le jour avec le postmodernisme, explique la doctorante. Ce type d’activités existait chez les Grecs anciens, où l’on franchissait pieds nus des bacs remplis de serpents venimeux. C’est aussi une caractéristique des sociétés où règne une certaine paix sociale. Encore là, pas de jugement moral, mais on sent une sympathie discrète pour les téméraires. «Personnellement, j’aime autant voir des jeunes faire les fous sur une piste de ski que de les voir partir à la guerre», dit-elle en souriant.

Mathieu-Robert Sauvé

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