Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 26 - 2 avril 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Élections: la proportionnelle aux oubliettes

On parle d'une réforme du mode de scrutin depuis 30 ans et un avant-projet de loi a même été présenté en décembre 2004. Mais depuis, plus rien.

Le politologue André Blais

Au terme du scrutin de lundi dernier, Amir Khadir, un des deux porte-paroles du parti Québec solidaire, déclarait que, «dans un pays normal et avec un mode de scrutin normal, Québec solidaire aurait eu trois députés».

Rien n’est moins sûr. Amir Khadir faisait allusion au projet de réforme du mode de scrutin visant à établir un équilibre entre le pourcentage de votes obtenus par un parti et le nombre de sièges qui devraient lui être attribués. On parle d’une telle  réforme depuis 30 ans et un avant-projet de loi a même été présenté en décembre 2004. Mais depuis, plus rien.

«Les partis ont demandé au directeur général des élections de revoir les dispositions relatives à l’étendue des districts électoraux, explique André Blais, professeur au Département de science politique. Par rapport au projet initial, la modification demandée améliorerait la représentation proportionnelle, mais il est évident que les partis ont ainsi voulu acheter du temps.»

Selon le politologue, le Québec est venu très près d’adopter une telle réforme sous René Lévesque, qui y tenait beaucoup, mais son caucus n’a pas suivi. Par la suite, le Parti québécois s’y est montré plutôt opposé parce que la répartition du vote francophone l’avantage. «Au Parti libéral, la position est ambigüe, affirme-t-il. Cette formation est parfois avantagée, parfois désavantagée et le conservatisme amène les responsables à être réticents.»

Quant à l’Action démocratique du Québec (ADQ), elle était très favorable à la réforme, mais elle s’est maintenant hissée à un rang où elle tire profit du système actuel. «Lundi dernier, la réforme a perdu un autre partisan, Mario Dumont», mentionne de son côté le politologue Louis Massicotte, du même département et présentement professeur invité à l’American University, à Washington DC.

Catastrophe évitée
Un coup d’œil sur les résultats du 26 mars révèle que la représentation pour ces trois partis  est assez bien équilibrée par rapport au suffrage. Le Parti libéral  a obtenu 38 % des sièges avec  33 % des voix, l’ADQ a récolté 33 % des sièges avec 31 % des votes et le Parti québécois s’en tire avec 29 % des sièges pour 28 % des suffrages.

«La distorsion est très faible et on peut parler de résultats proportionnels, déclare André Blais. Cela est très rare dans notre contexte; habituellement, le parti qui est en avance reçoit plus que sa part de sièges.»

Avant l’élection, le Parti libéral obtenait 5 % de plus dans les intentions de vote que le Parti québécois; en raison de la répartition des clientèles de ces deux partis, ce faible écart les plaçait au coude-à-coude. «Ce qui est étonnant, c’est qu’avec seulement 2 % de plus que l’ADQ le Parti libéral ait été reporté au pouvoir, en dépit de la concentration de ce vote dans l’ouest de l’île de Montréal et de la province. Avec 31 % pour l’ADQ, on aurait dû s’attendre à ce que ce parti devance le Parti libéral.»

Selon André Blais, «le Parti libéral a eu de la chance» ! Mais il ajoute que l’ADQ a été tout  aussi chanceuse parce qu’elle n’était pas prête à gouverner. «Ce n’est pas un point de vue partisan, souligne-t-il. L’Action démocratique elle-même le reconnait.» Le politologue croit que nous avons en fait frôlé la catastrophe.

Québec solidaire
Pour ce qui est de Québec solidaire, André Blais n’est pas du même avis qu’Amir Khadir. «Selon la réforme proposée, Québec solidaire aurait peut-être obtenu un siège ou peut-être aucun», estime-t-il.

Le mode de scrutin proportionnel proposé, qui s’inspire du système allemand, n’établit pas une proportionnalité absolue entre tous les partis. Les sièges de compensation sont attribués au parti qui a été le plus désavantagé sur le plan des suffrages reçus et des députés élus, et ce, dans un district comprenant trois circonscriptions et non à l’échelle de tout le Québec. Pour qu’un parti obtienne l’un des sièges compensatoires dans un district, il faut en fait qu’il réussisse à se classer deuxième ou troisième, ce qui nécessite au moins 15 % de voix.

Les deux porte-paroles de Québec solidaire ont terminé deuxièmes dans leurs circonscriptions respectives avec des résultats plus qu’honorables, soit 30 % pour Amir Khadir et 25,5 % pour Françoise David. Mais, selon le projet de réforme, le calcul serait effectué à l’échelon du district et non de la circonscription; pour qu’un siège leur soit assuré, il  aurait donc été impératif que leurs circonscriptions soient regroupées dans le même district.

Louis Massicotte fait toutefois remarquer qu’en contexte de scrutin proportionnel le comportement des électeurs aurait sans doute été différent et que l’appui à Québec solidaire aurait été plus grand.

Sur la tablette?
Comme tous les spécialistes qui ont travaillé sur les modèles de scrutin proportionnel, André Blais et Louis Massicotte se montrent maintenant très sceptiques  quant à l’avenir de cette réforme. «Je crois qu’elle va rester dans les tiroirs, indique André Blais. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’un tel changement voie le jour.»

Avec des résultats quasi proportionnels, les conditions gagnantes sont loin d’être réunies cette fois-ci.

Ailleurs au Canada, une réforme semblable a été mise aux oubliettes par le Parti libéral du Nouveau-Brunswick, après que le conservateur Bernard Lord eut promis de soumettre le projet à un référendum; il a lui-même été victime d’un système inéquitable et a perdu ses élections malgré une majorité au suffrage! En Colombie-Britannique, un référendum sur le sujet n’a pas obtenu la majorité de 60 % prévue par la loi, mais le gouvernement reviendra prochainement à la charge. En Ontario, un référendum est prévu aux prochaines élections, qui doivent se tenir l’automne  prochain.

Daniel Baril

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