Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 26 - 2 avril 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Après le patrimoine naturel, voici le «patrimoine immatériel»

Des chercheurs se penchent sur la protection du savoir-faire nécessaire au maintien des réalisations culturelles

Québec historique Vie marine C-B, CaVillage de Grand-Préen, AcadieTotems mortuaires

De haut en bas, le Québec historique, la vie marine de l'île de SGaang Gwaii, en Colombie-Britannique, le village de Grand-Pré en Acadie et les totems mortuaires des Haïdas, autant de sites canadiens classés dans le patrimoine mondial.

Combien y a-t-il de réalisations humaines et de sites naturels suffisamment remarquables pour figurer parmi les chefs-d’œuvre du patrimoine mondial de l’humanité: 8? 20? 150? On est en fait très loin des Sept Merveilles du monde. S’il faut se fier à la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, la réponse est 830 sites et constructions répartis dans 170 pays!

On y retrouve entre autres la statue de la Liberté, le pont du Gard, la Grande Muraille de Chine, la ville de Venise, le Taj Mahal, les volcans du Kamtchatka et le Grand Canyon du Colorado. Le Canada en compte 11, dont le Vieux-Québec et le parc des Rocheuses.

«Ces sites ont été retenus en raison de leur “valeur universelle exceptionnelle”, qui rejoint l’humanité tout entière à travers les âges et au-delà des barrières des langues et des cultures», explique Christina Cameron, professeure à l’École d’architecture et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti.

Selon Mme Cameron, la philosophie de l’appropriation universelle d’un site est issue de la conjoncture sociale et politique de l’après-guerre, alors qu’on cherchait à rapprocher les nations.

Trente-cinq ans se sont maintenant écoulés depuis l’entrée en vigueur, en 1972, de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Au fil des ans, la notion de «valeur universelle exceptionnelle» a été remise en question par certaines communautés, notamment en Afrique et en Asie, qui souhaitaient que des particularismes culturels nationaux soient davantage reconnus et mieux protégés.

À la suite de ces considérations, une seconde convention a été élaborée en 2003: la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Si la première était portée par les idéaux de l’après-guerre, celle  de 2003 a vu le jour dans le contexte où la mondialisation fait «planer de graves menaces de dégradation, de disparition et de destruction sur le patrimoine culturel et immatériel», peut-on lire dans le document.

«Les deux conventions reflètent donc les visions différentes de deux générations», souligne Christina Cameron.

Le savoir-faire
Le mot «immatériel» est crucial dans la désignation de la convention de 2003 puisque l’aspect culturel «tout court» est déjà pris en compte dans celle de 1972. Qu’englobe donc le terme «patrimoine immatériel»? «C’est le savoir-faire, les connaissances, les traditions et les objets nécessaires pour assurer la sauvegarde des réalisations culturelles», répond la professeure.

À titre d’exemple, la convention précise que cette notion inclut les traditions et expressions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales et rituelles, les évènements festifs, les connaissances et pratiques relatives à la nature et à l’univers ainsi que le savoir lié à l’artisanat traditionnel.

Il ne s’agit pas d’un simple ajout à la convention de 1972 mais d’une nouvelle vision des choses. «Nous avons d’abord été enclins à considérer que la première convention visait l’aspect matériel des réalisations culturelles et que celle de 2003 concernait le savoir-faire, mais il n’y a pas de dichotomie entre les deux, fait remarquer Mme Cameron. Il y a beaucoup d’immatériel dans le patrimoine naturel et beaucoup de matériel dans le patrimoine immatériel puisque le savoir-faire doit s’exprimer dans quelque chose de tangible.»

Christina Cameron

Comme exemple d’élément immatériel dans le naturel, la chercheuse mentionne le parc australien d’Uluru-Kata Tjuta avec ses célèbres montagnes rougeâtres aux sommets plats; ce site a en premier lieu été classé pour sa beauté naturelle et, en 1994, on a ajouté aux critères de classement le caractère sacré que les aborigènes lui attribuent. Aux Philippines, les terrasses étagées de culture du riz figurent également sur la Liste du patrimoine mondial, mais on cherche également à protéger le chant des ouvriers agricoles qui y travaillent.

Le chevauchement des deux conventions est à ce point confondant que la professeure Cameron a organisé, dans le cadre des activités de la chaire sur le patrimoine bâti, un colloque de deux jours sur la nouvelle perspective ouverte par la convention de 2003. Des spécialistes d’une dizaine de pays y ont participé et leur principale conclusion est que la convention sur le patrimoine immatériel aura pour effet de modifier la perception des gens qui doivent mettre en œuvre la convention sur le patrimoine mondial; ils seront plus sensibles aux valeurs et au savoir des peuples, deux composantes qui président aux réalisations du «génie créateur».

Classer la cabane à sucre?
Pour l’instant, les pays signataires sont à préparer une liste indicative des éléments qui pourraient être reconnus comme patrimoine immatériel. Même si le Canada n’a pas encore signé cette convention, des chercheurs sont déjà à l’œuvre au Québec. C’est la tâche à laquelle s’est notamment attelé Laurier Turgeon, professeur à l’Université Laval, qui dirige un projet pilote pour constituer l’«inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel».

Divers festivals, des pratiques artisanales comme la courtepointe, des techniques agricoles, des musiques et des contes traditionnels ou encore des métiers comme celui de cordonnier ont reçu une attention particulière.

Christina Cameron se risque pour sa part à nommer, de façon interrogative, le défilé de la Saint-Patrick, qui venait de se tenir quelques jours auparavant.

À la lumière de ces exemples et de la définition même du patrimoine immatériel, on pourrait le plus sérieusement du monde suggérer de classer nos parties de sucre ainsi que leur menu traditionnel et la musique québécoise qui les accompagne. La France n’a-t-elle pas légiféré pour protéger la «baguette française»?

Daniel Baril

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