Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 27 - 10 avril 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’ammoniac contre les déviances sexuelles

Le conditionnement olfactif, associé à la psychothérapie, est une arme efficace pour contrer les comportements sexuels déviants

Mathieu Goyette a mesuré l’efficacité de l’approche dite de l’aversion olfactive auprès de délinquants sexuels récidivistes.

Les quelques cas de dérapage rapportés par les médias en matière de gestion des libérations conditionnelles d’agresseurs sexuels ont amené le public à favoriser la ligne dure vis-à-vis de ces délinquants en souhaitant un renforcement des peines, voire la castration chimique ou biologique des récidivistes.

Selon Joanne-Lucine Rouleau, professeure au Département de psychologie, la solution se situe plutôt du côté de la thérapie puisque des méthodes d’aversion à l’égard des comportements sexuels déviants s’avèrent efficaces dans la majorité des cas.

Directrice du Centre d’étude et de recherche de l’Université de Montréal (CERUM), où elle est également psychothérapeute, Mme Rouleau affirme n’avoir eu qu’un seul cas de récidive en six ans, alors que ce centre reçoit de 30 à 40 délinquants sexuels par année. Cette clientèle est composée d’ex-détenus ayant purgé une peine d’emprisonnement pour agressions sexuelles ou actes de pédophilie répétés.

«Même pour ces cas lourds, l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale est démontrée et coute moins cher que l’incarcération, déclare la professeure. Parmi les pires cas, seulement le tiers sont à risque de récidive. Cependant, ce sont uniquement de ceux-là que parlent les médias. Jamais il n’est question des deux autres tiers qui s’en tirent bien», déplore-t-elle.

Aversion à l’ammoniac
La thérapie à laquelle recourt Joanne-Lucine Rouleau est celle de l’aversion olfactive: le procédé consiste à amener le sujet à associer son comportement déviant à la répulsion causée par l’odeur de l’ammoniac. La thérapie commence par un programme intensif au pénitencier et les prévenus qui montrent encore des signes de déviance au terme d’une démarche thérapeutique de huit mois sont pris en charge par le CERUM pour une autre série de rencontres d’une durée de 5 à 10 semaines.

L’aversion olfactive est le résultat d’un conditionnement classique. Une fois le profil de déviance clairement établi (pédophilie masculine, féminine ou mixe, violence sur des femmes adultes, etc.), on demande au prévenu de construire son propre scénario déviant, qui sera enregistré sur une cassette audio. On lui fait entendre cette cassette pendant qu’il porte un anneau pénien destiné à mesurer son érection. Dès que l’augmentation de circonférence du pénis atteint 2,5 mm – ce qui correspond habituellement à 10 % d’une érection complète –, le thérapeute lui donne la consigne de briser une ampoule d’ammoniac et d’en respirer les émanations.

L’effet est immédiat: l’ammoniac coupe court à toute excitation. L’opération est répétée quatre fois par semaine et des rencontres de groupe ont lieu tous les jours.

«Le but est d’abord d’amener le sujet à contrôler son excitation plutôt que de lui imposer un simple conditionnement, précise Mathieu Goyette, doctorant au Département de psychologie. L’aversion olfactive est accompagnée d’un renforcement positif assuré par les thérapeutes.»

Parallèlement au développement de l’aversion, le programme vise à diriger l’intérêt sexuel vers des situations non déviantes par exploration fantasmatique et conditionnement masturbatoire.

Joanne-Lucine Rouleau

Joanne-Lucine Rouleau

Efficacité mesurée
Mathieu Goyette a mesuré l’efficacité de cette approche chez des détenus du pénitencier La Macaza, spécialisé dans le traitement des délinquants sexuels récidivistes. Dans un groupe de 55 détenus, dont les deux tiers étaient des pédophiles et les autres des agresseurs de femmes adultes, les analyses ont révélé des déviances chez 87 % des sujets avant le début de la thérapie, taux qui est tombé à 18 % à la fin du programme. À l’inverse, seulement 13 % des sujets manifestaient un intérêt pour un scénario sexuel consentant au début du traitement alors qu’ils étaient 82 % à s’en accommoder à la fin.

L’écart entre le degré de l’excitation provoquée par le scénario déviant et le degré de l’excitation suscitée par un scénario consentant est passé de 2,75 à 0,39 entre le début et la fin du programme. «Dans cette échelle, un intérêt sexuel déviant est jugé problématique à partir de 0,80, souligne Mathieu Goyette. Ces résultats positifs ont été obtenus chez tous les types de déviants, bien qu’ils soient moins prononcés chez les agresseurs de femmes adultes. La thérapie par aversion en entrainement intensif est donc efficace», conclut-il.

Mathieu Goyette

Mathieu Goyette

La présentation de cette étude à la journée scientifique du Département de psychologie tenue le 21 mars dernier lui a valu le prix de la meilleure communication orale de la Faculté des études supérieures.

Mathieu Goyette poursuit ses travaux de doctorat afin de concevoir un modèle d’évaluation de l’intérêt sexuel par oculographie, un procédé consistant à enregistrer les mouvements oculaires d’un sujet à qui l’on présente des images en 3D de personnes nues. Ce modèle pourrait compléter ou remplacer la mesure par pléthysmographie pénienne, que certaines personnes parviennent à contrôler.

Ce doctorat est sous la codirection de Joanne-Lucine Rouleau et Patrice Renaud (UQO) avec la collaboration de Jean Proulx, de l’École de criminologie.

Daniel Baril

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