Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 29 - 7 mai 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Apprendre par le jeu, même à l’université

Selon Jean-Louis Brazier, le jeu de rôle est une excellente façon de décloisonner et d’intégrer les connaissances

Le Maalox n’a pas perdu son X; la mise en scène veut plutôt illustrer que ce médicament annule l’effet du Raxar. Une combinaison qu’il faut donc éviter.

Si les enfants apprennent par le jeu, pourquoi ne pas aussi faire profiter les adultes de cette forme de pédagogie? C’est ce qu’a décidé de faire Jean-Louis Brazier, professeur à la Faculté de pharmacie. Depuis quatre ans, il utilise de façon maximale le recours au jeu de rôle dans son enseignement et il obtient des résultats remarquables.

«Les connaissances sont acquises en silos séparés, déplore-t-il. Pour assurer les compétences, il faut décloisonner les connaissances et les rendre transférables.»

Un de ses cours de deuxième année du baccalauréat porte sur cette intégration pluridisciplinaire des connaissances acquises, depuis le cégep, dans le domaine des sciences de la santé. Le cœur de cet enseignement original est constitué d’une présentation théâtralisée d’un problème clinique à résoudre.

Mme Bonsant
Les étudiants de ce cours obligatoire reçoivent d’abord une formation de sept semaines en atelier interactif portant sur les outils nécessaires à la résolution de problèmes: où et comment trouver l’information, éléments de communication inter-personnelle verbale et non verbale, obstacles à la communication, méthodes de travail en équipe, soins pharmaceutiques, etc.

La classe est par la suite divisée en groupes de neuf, qui reçoivent chacun un cas clinique à régler et à traiter sous forme de mise en scène théâtrale. Les cas sont distribués au hasard aux équipes elles aussi formées au hasard et ne comprennent qu’une quantité limitée d’information, ce qui oblige les étudiants à compléter le contexte.

Voici un exemple de cas soumis. Mme Bonsant prend des anticoagulants depuis un infarctus ainsi que du Coumadin. Elle souffre de crampes dans les jambes, qu’elle attribue à sa «mauvaise circulation». Au rayon des produits naturels, elle prend du ginkgo et un flacon d’ail Sulfogenic. Pendant ce temps, votre associé renouvelle la prescription d’Effexor du mari de Mme Bonsant et vous lui demandez d’expliquer comment agit ce médicament à l’échelle moléculaire en le comparant aux principaux antidépresseurs. Quinze jours plus tard, Mme Bonsant revient acheter un produit «pour son mari qui a le rhume des foins»; deux semaines après, elle vous apprend qu’il a été hospitalisé pour deux épisodes d’arythmie ventriculaire.

Les étudiants disposent de trois semaines pour trouver les données nécessaires et préparer leur mise en scène de 30 minutes dans laquelle chaque membre de l’équipe doit jouer un rôle. Ils doivent aussi introduire un élément perturbateur dans la mise en scène, par exemple quelqu’un qui parle trop, qui parle pour son conjoint ou qui ne dit presque rien.

«On peut même personnifier un médicament qui précisera son mode d’action, souligne le professeur. Chaque personnage doit être justifié en fonction du problème soumis. L’aspect ludique de cette approche passionne les étudiants; on voit qu’ils ont des idées et de l’imagination et qu’ils apprennent beaucoup. C’est une richesse extraordinaire!»

Si les étudiants qui incarnent les professionnels de la santé doivent expliquer les choses de façon vulgarisée afin que le patient comprenne ce qu’il doit faire et pourquoi il doit le faire, d’autres personnages doivent compléter le diagnostic et la solution en présentant, par projections PowerPoint ou autrement, le contenu scientifique du problème. Plusieurs équipes font ici intervenir un personnage qui n’est autre que le professeur Brazier, reconnaissable à ses incontournables teeshirt et pantalon noirs.

De la frustration à la satisfaction
La représentation est filmée, évaluée par trois professeurs et suivie d’un échange avec la classe. Les étudiants doivent en outre produire un rapport sur la démarche adoptée et dire, en une page chacun, comment ils ont vécu l’expérience.

«Le fait de forcer la composition des équipes peut être une source de frustration au début, mais la communication, en contexte théâtral, passe très bien, indique Jean-Louis Brazier. Plusieurs écrivent qu’ils m’en voulaient au départ, mais qu’en définitive ils sont bien heureux d’avoir découvert le potentiel qu’ils sous-estimaient souvent chez leurs collègues. Après cet exercice, l’ambiance de la classe n’est plus la même.»

D’autres facultés entendent imiter l’expérience de Jean-Louis Brazier qui serait, à ce jour, l’exercice le plus complet d’intégration des connaissances recourant au jeu de rôle. L’atelier «Du groupe à l’équipe par les jeux de rôle», prévu au programme du congrès de l’Association internationale de pédagogie universitaire, sera consacré à cette approche.

Daniel Baril

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