Édition du 27 août 2001 / Volume 36, numéro 1
 
  Les pulsions, ça se contrôle!
Mario Beauregard radiographie la conscience humaine en action.

Le siège de la tempérance existe. Il est situé dans le lobe préfrontal du cerveau. C’est du moins ce que le neuropsychologue Mario Beauregard a constaté au cours d’une expérience menée dans son laboratoire auprès de 12 hommes âgés de 20 à 30 ans à qui il avait demandé de maîtriser leur excitation sexuelle en regardant des scènes érotiques très explicites. «C’est clair, relate le chercheur. Les images du cerveau en action, obtenues par résonance magnétique, montrent une activité intense dans le lobe préfrontal.»

Le professeur Mario Beauregard est chercheur à l’Institut de gériatrie de Montréal. Il dirige les travaux d’une dizaine d’étudiants aux cycles supérieurs à la Faculté de médecine.

La tempérance («modération dans tous les plaisirs des sens», selon Le petit Robert), ou plus précisément le contrôle de l’excitation sexuelle, relèverait donc d’un organe propre aux primates, mais particulièrement développé chez les humains. Le lobe préfrontal du cerveau est en effet la dernière partie du système nerveux à être apparue au cours de l’évolution. Les chimpanzés possèdent un lobe préfrontal, mais son volume ne dépasse pas 25 % de celui de leurs cousins humanoïdes.

Par comparaison, les zones activées lorsque les volontaires laissent libre cours à leurs pulsions en visionnant des scènes érotiques sont situées dans des régions plus «primaires». Le système limbique (zone cérébrale comprenant l’hippocampe, le septum et l’amygdale, parfois qualifiée de «cerveau de l’émotion») réagit très fortement devant des scènes X, alors que le cortex préfrontal est plutôt discret.

Les résultats de la recherche du professeur Beauregard, effectuée en collaboration avec une doctorante et un chercheur de l’Université de Montréal, Johanne Lévesque et Pierre Bourgouin, seront publiés sous peu dans le Journal of Neuroscience. L’article précise que le «contrôle de soi relève d’un circuit neuronal comprenant différentes régions préfrontales et structures limbiques».

Dans la très sérieuse description de la méthodologie, les auteurs écrivent que les extraits de films projetés présentaient différentes interactions sexuelles (fellations, pénétrations, etc. ) «entre une femme et deux ou trois hommes, deux femmes et un homme ou entre deux ou plusieurs femmes». Les scènes retenues avaient auparavant été validées auprès d’un grand nombre de sujets.

Pour les volontaires, le visionnement des scènes érotiques était d’une durée de 39 secondes, suivie d’une période de 15 secondes où apparaissait un écran bleu, le temps de marquer une pause avant l’étape suivante. À noter, les réactions physiologiques n’étaient pas prises en compte. L’appareil de résonance magnétique nucléaire s’est concentré sur le cerveau.

«À peu près tous les hommes réagissent à des images érotiques explicites; c’est une programmation biologique, explique le chercheur, qui a personnellement participé à la sélection des films. Pour les femmes, c’est un peu plus compliqué. Certaines réagissent beaucoup, d’autres moins. C’est pourquoi nous avons choisi de mener notre recherche exclusivement avec des hommes.»

Les pulsions, ça se contrôle!

Lorsqu’on demande à des sujets de recherche de contrôler leur excitation sexuelle, les résultats ne se font pas attendre. Un questionnaire en témoigne. Les participants devaient noter les extraits sur une échelle de 1 à 8, ce dernier chiffre correspondant à l’émotion la plus vive jamais ressentie. Certains extraits avaient reçu la note maximale. Ces mêmes images sont devenues subitement peu ou pas excitantes (moyenne: 2) chez des sujets en contrôle.
Les chercheurs ont pu constater qu’il était relativement simple pour les sujets de se montrer insensibles aux images qu’ils voyaient, même s’ils y réagissaient très fortement en d’autres circonstances. Pour contrôler leur excitation, ils ont eu recours à la distance émotive. «Ils se sont sentis détachés plutôt que participants», résume le neuropsychologue. C’est là que le lobe préfrontal a joué son rôle.

«Nos résultats suggèrent que les humains ont la capacité d’influer sur la dynamique électrochimique de leur cerveau en changeant volontairement la nature et le contenu de leur expérience subjective», écrivent les auteurs dans l’article du Journal of Neuroscience. Ils qualifient cette faculté de l’une des plus «remarquables caractéristiques de l’évolution humaine».

Conscience et imagerie

Âgé de 39 ans, Mario Beauregard n’en est pas à ses premiers travaux dans le domaine de l’imagerie médicale. Ce diplômé postdoctoral du National Institute of Health et de l’Institut neurologique de Montréal, après un doctorat obtenu à l’Université de Montréal, a toujours eu un faible pour les rapports entre le cerveau et les émotions. «Ce qui m’intéresse, c’est l’imagerie du cerveau en action. Comment l’esprit, la conscience s’expriment sur le plan neurologique.»
Les chercheurs en viendront-ils à observer l’âme humaine? «On voit en tout cas comment les circuits neuronaux agissent au cours de différentes activités où les émotions et le contrôle de soi sont mis à contribution», répond-il.

Certains de ses travaux antérieurs, portant notamment sur la tristesse, ont donné lieu à des publications dans des revues savantes. «Nous avons démontré que la tristesse, chez les enfants de 8 à 10 ans, ne s’exprime pas de la même façon que chez les adultes. Cela s’explique par le fait que le cerveau n’est pas complètement développé avant l’âge de 20 ans.»

Chez les acteurs professionnels, le chercheur a également observé l’auto-induction d’émotions comme la joie et la peine. «Ces gens-là parviennent à modifier l’activité physiologique de leur cerveau par la seule pensée. Leurs larmes sont de véritables larmes, comme s’ils étaient réellement tristes, mais ils le font en quelque sorte sur commande.»

Il a aussi observé le cerveau de phobiques qui entreprenaient une thérapie. Un groupe de 12 femmes qui avaient les araignées en horreur en sont venues à prendre sans dégoût des tarentules dans leurs mains après un mois de traitement, notamment à l’Insectarium de Montréal. «À la fin du traitement, l’action du cerveau de ces femmes était identique à celle de n’importe quel individu. Cela démontre bien que, lorsqu’on change l’esprit, on change le cerveau.»

C’est en quelque sorte un vieux dogme qui est ébranlé par ces résultats. Changer la chimie du cerveau, c’est ce que visent les nombreux médicaments utilisés en pharmacothérapie. Or, dans bien des cas, il vaudrait peut-être mieux changer l’état d’esprit des personnes qui souffrent pour soulager leurs malaises.

L’étude du professeur Beauregard sur l’excitation sexuelle, qui a suscité beaucoup d’intérêt dans la communauté scientifique en raison de son aspect inédit («il y a encore une espèce de tabou autour de la sexualité parmi les chercheurs», dit-il), doit se poursuivre sous d’autres formes. On veut notamment voir comment réagissent à l’expérimentation des adeptes de la méditation bouddhique, reconnus pour la grande maîtrise de leur corps.

S’il prétend visualiser l’effet de la conscience grâce à l’imagerie cérébrale fonctionnelle, il n’adhère pas à la pensée déterministe en vogue dans la communauté scientifique. «À entendre certains chercheurs, l’homme n’est que la somme de ses gènes. Je crois au contraire, et mes recherches le démontrent, que la conscience a un rôle capital à jouer dans la croissance et l’épanouissement.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications