Édition du 4 septembre 2001 / Volume 36, numéro 2
 
  Courrier


Quand les sciences dérangent les croyances
Étudier la représentation que les individus se font des sciences et des pseudo-sciences constitue un véritable défi tant ce thème vient heurter les croyances de tout un chacun. C’est pourtant le sujet que j’ai choisi de développer, sous la direction de Serge Larivée, au Département de psychologie de l’Université de Montréal, à travers l’étude des représentations sociales de 250 individus du secondaire à l’université. Je ne détaillerai pas davantage la procédure utilisée pour mes expérimentations; cependant, j’aimerais parler ici de la singularité d’une telle étude.

Aborder le thème des sciences et des pseudo-sciences, c’est en quelque sorte procéder à une enquête policière au cours de laquelle il faudrait oublier qu’on a des liens à la fois avec la victime et l’accusé. Comment donc se prémunir contre un manque d’objectivité? Comment faire abstraction de ses propres croyances, de son vécu et des éléments ou des individus qui sont intimement liés à celles-ci?

Comme la plupart d’entre vous, j’ai souvent entendu des personnes rapporter que certains individus étaient capables de faire ce que d’autres qualifiaient de paranormal, d’extraordinaire, de magique, de sorcellerie, etc. Tout laissait penser qu’il était normal de croire en l’existence de ces choses qui défient les lois de la nature et des sciences, car ces histoires étaient si nombreuses, si largement véhiculées par les livres et les médias qu’il fallait forcément qu’elles existent afin de satisfaire le vieil adage selon lequel il n’y a pas de fumée sans feu! Aussi, je me laissais prendre au jeu… Néanmoins, le bon sens dont tout individu s’estime largement pourvu, et sur lequel s’érigeaient ces nombreuses histoires, ne satisfaisait pas pleinement mon esprit critique.

Je désirais comprendre la nature de ces phénomènes étranges, mais également comprendre les raisons pour lesquelles les individus accordaient autant de crédit à des faits qui relevaient plus souvent de la rumeur que du fait établi. Eh oui, alors que la plupart des individus vous diront qu’ils auraient tort de ne pas croire ce qui constitue leur intime conviction, d’autres, comme moi, se masturbent l’esprit au point de se demander si ce qu’ils voient, sentent ou croient n’est rien d’autre qu’une construction de l’esprit ou une représentation erronée de la réalité. Comment ces derniers vont-ils alors décider de la direction ou de l’orientation à prendre? En se fiant eux aussi à leur bon sens, qui s’érige à partir de leurs expériences, de leur vécu, etc.? Comment briser ce paradoxe?

Peut-être en limitant les interprétations à de simples constats: rôle que s’assigne tant bien que mal la science. Est-elle infaillible pour autant? Certes non. Cependant, de même que notre société est mieux avec que sans la justice et ses lois, il en est de même avec la science, qui prémunit contre quelques abus. Il y a néanmoins une nuance qui fait une grosse différence dans cette analogie: les lois de la science sont basées sur un critère qui défie l’entendement du commun des mortels. En effet, ces lois peuvent être remises en cause si l’on démontre qu’elles ne sont pas valides: c’est le critère de réfutabilité. Ce critère qui fait souvent parler de lui par les gourous des pseudo-sciences qui tentent de faire croire que c’est la plus grande faiblesse de la démarche scientifique, alors qu’au contraire, c’est sa plus grande force: le fait de donner la possibilité de soumettre une théorie à la vérification constitue la preuve d’un désir de transparence et d’objectivité. Autant dire que c’est déstabilisant quand on préconise à nos petits esprits d’économiser leur mémoire si les éléments qu’ils stockent sont sujets à des changements alors qu’il est si simple de croire en quelque chose, d’ancrer cette chose en nous et de nous adapter tant bien que mal aux modifications de notre environnement en invoquant quelques motifs exceptionnels ou en déniant tout simplement la réalité lorsque la situation le permet.

Admettons que je démontre que ce en quoi je croyais hier n’est aujourd’hui que superstition. L’ayant moi-même cru, je comprends aisément que celui qui continue d’y croire puisse me percevoir comme gênant. D’autant que, si je suis le seul à dénoncer l’existence d’une supercherie, tous ceux qui ne l’ont pas découverte eux-mêmes sont frustrés de ne pas l’avoir constatée plus tôt, ou encore ils peuvent penser que je les prends pour des «gogos». La première réaction de défense est de penser que je suis dans l’erreur et, même s’ils prennent conscience du bien-fondé et du sérieux de mon étude, il se peut qu’ils aient quand même encore du mal à l’accepter. Certains ne changeront d’ailleurs jamais leurs conceptions ou leurs croyances, mais d’autres se sentiront concernés par l’évolution de leur environnement et la marche du progrès. Rappelez-vous le mythe de la caverne de Platon!

Ainsi, démontrer qu’une ancienne croyance n’était qu’une superstition ne revient pas uniquement à livrer nos résultats mais également à décrire la démarche qui nous a permis d’obtenir ces résultats tout en invitant notre lecteur à suivre le même cheminement afin d’expérimenter, de constater par lui-même de façon qu’il ait le temps de s’adapter à ce brusque changement. Au-delà de la démonstration scientifique, il est peut-être plus question de psychologie lorsqu’on aborde un sujet autant chargé d’émotions et de conviction que celui des représentations et des croyances.

Hervé Genge
Étudiant au doctorat

Département de psychologie


 
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