Édition du 10 septembre 2001 / Volume 36, numéro 3
 
  Un État fort pour garantir la liberté du citoyen
Guy Rocher participe au radio-livre «L’idée du siècle».

La liberté est une utopie nécessaire, un idéal auquel on n’accède jamais, mais qu’il ne faut pas cesser de poursuivre, estime le sociologue Guy Rocher. Pour le citoyen, cela signifie avoir accès gratuitement à l’éducation, pouvoir recourir au besoin à des services de santé, posséder des droits économiques… Bref, la liberté de l’homme et de la femme d’aujourd’hui n’est possible que si un État est fort.

«Ce qui m’inquiète dans nos démocraties, en ce moment, c’est l’antiétatisme associé au néolibéralisme, dit-il. Je suis très social-démocrate. Je crois que la liberté du citoyen n’existe que dans la mesure où il y a un État et où il y a du droit, c’est-à-dire là où s’est constitué un État de droit. Ça ne peut se faire autrement. Dans la mesure où l’on affaiblit l’État — ce qu’on fait aujourd’hui au nom de la liberté —, on mine les bases de la liberté.»

Professeur au Département de sociologie et rattaché au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit, M. Rocher s’exprime en ces termes dans un «radio-livre» qui vient d’être lancé par la Société Radio-Canada (SRC) en collaboration avec la maison Fides.

Intitulé L’idée du siècle: la liberté du citoyen, le radio-livre reprend l’essentiel d’une série diffusée durant l’automne 2000 à la première chaîne de la SRC. Seul Canadien parmi sept illustres personnalités (tous des hommes, malheureusement: Alain Bentolila, Dominique Wolton, Alain Touraine, Amin Maalouf, Philippe Schmitter et Marek Halter), le sociologue a été invité par l’animateur Michel Lacombe à donner son interprétation du thème à l’honneur. Pourquoi ce thème? Parce qu’au moment de changer de millénaire M. Lacombe «cherchait une idée qui symboliserait le passage du siècle, sorte de legs du 20e siècle au 21e, une certaine idée de l’humanité qu’il ne faudrait pas perdre dans le foisonnement du progrès technologique étourdissant». La réflexion a vite mené à cette riche notion: la liberté du citoyen. Voilà l’idée du 20e siècle.

Liberté, langue et communication

À la lecture-audition de ce produit multimédia, on comprend que la liberté est d’abord une affaire de langue. «Parler juste veut dire être capable d’imposer à quelqu’un d’autre une pensée particulière et originale, trouver les mots exacts pour lui dire les choses et s’assurer qu’il les comprend», explique par exemple Alain Bentolila.

À ce souci de bien se faire comprendre par autrui se rattache le développement de l’autoroute de l’information. Pour le spécialiste des communications Dominique Wolton, Internet n’est pas une voie royale vers la liberté. Ce n’est rien de plus, à son avis, qu’un instrument de perfectionnement des connaissances que nous possédons déjà. Pour faire avancer des valeurs comme la liberté de la presse, la protection de la vie privée, la préservation de la diversité culturelle, il ne faut pas compter sur Internet. Il faut travailler sur le cadre politique. «La politique, dit M. Wolton, c’est la seule chose qui fait avancer la démocratie.»

Ce point de vue converge vers celui de M. Rocher, pour qui la liberté se conjugue avec un État capable de garantir des droits fondamentaux à tous ses citoyen. «Je veux qu’on critique l’État parce qu’il a besoin d’être critiqué, mais je m’oppose à ce qu’on liquide l’État», lance-t-il.

Être citoyen en 2001

Concept apparu lors des révolutions française et américaine, la «citoyenneté» a pris du temps à s’imposer. Par exemple, les femmes n’ont obtenu le droit de vote, en France, qu’après la Deuxième Guerre mondiale. Aux États-Unis, les Noirs ont longtemps été considérés comme des non-citoyens. L’idée de citoyen, selon M. Rocher, ne s’enracine qu’avec le développement de la démocratie. Or, que penser de la mondialisation, qu’on appelle aussi «libéralisation des échanges»? «Au nom de la liberté, on a créé la mondialisation. Mais c’est une liberté qui peut être restreinte. Elle ne sera bientôt que le lot de ceux qui ont le pouvoir.»

La liberté place constamment le citoyen devant une multitude de choix possibles. Sans balises, de nombreux individus ressentent un grand vertige.

À ce sujet, Guy Rocher évoque la légende du Grand Inquisiteur de l’écrivain russe Fedor Dostoïevski. Le tyran explique que, même s’il châtie ses sujets, il rend de grands services à l’humanité. De quelle façon? En enlevant aux individus leur liberté de penser. Selon le Grand Inquisiteur, la dépendance à une autorité morale soulage du fardeau de penser, de remettre en question, de prendre des décisions… «Je crois, conclut M. Rocher, que Dostoïevski avait bien compris combien la liberté est difficile à porter et qu’elle se mérite tous les jours.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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