Édition du 17 septembre 2001 / Volume 36, numéro 4
 
  Les chercheurs à la rescousse des pisciculteurs
Valorisation-recherche Québec donne 1,2 M$ à un réseau de chercheurs.

«Un poisson frais ne sent pas», affirme Réal Lallier, un amateur de sushis, qu’il confectionne lui-même à la manière des chefs japonais.

Aux prises avec des problèmes de compétitivité et de respect des normes environnementales, les pisciculteurs québécois sont à la croisée des chemins. «La majorité des 136 piscicultures en activité au Québec ne survivront pas 10 ans si elles ne changent pas leurs méthodes de production et ne s’adaptent pas aux nouvelles exigences environnementales», explique Réal Lallier, qui a consacré 25 ans de sa vie aux recherches en microbiologie sur les poissons d’élevage.

Pour ne pas assister, les bras croisés, au déclin de cette industrie qui enregistre encore un chiffre d’affaires de 100 M$, M. Lallier a voulu réunir les représentants de ce qu’il appelle les «forces vives de la recherche» pour les amener à la même table que les pisciculteurs et les porte-parole gouvernementaux. Ses efforts n’ont pas été vains puisque Valorisation-recherche Québec vient d’accorder un budget de 1,2 M$ au réseau piloté par ce professeur de la Faculté de médecine vétérinaire, adjoint au vice-recteur à la recherche depuis juin dernier. «Ce n’est qu’un début, lance-t-il. Ce regroupement forme une masse critique qui permettra de lancer plusieurs projets de grande envergure. Nous en avons actuellement deux que nous voulons soumettre au gouvernement fédéral.»

Réal Lallier 

Tous les ingrédients sont réunis pour que la sauce prenne, comme on dit. Le groupe rassemble des chercheurs de multiples disciplines, de la médecine vétérinaire au droit en passant par la génétique et les sciences économiques. De plus, il s’appuie sur un solide partenariat avec l’entreprise privée et peut compter sur la concertation entre plusieurs universités. Mais les défis sont majeurs. Selon le spécialiste, l’industrie pourrait plier l’échine devant la concurrence d’ici une décennie, faute d’un redressement. Cela serait un désastre pour ce pays de lacs et de rivières.

Le Québec est le seul producteur mondial d’omble de fontaine (truite mouchetée), une espèce qui vit en eau froide et qui est particulièrement appréciée des pêcheurs. Mais il exploite aussi la truite arc-en-ciel et, de façon marginale, le doré et la perchaude. Le stock des pisciculteurs est vendu sous formes d’œufs ou d’alevins à des exploitants de pourvoiries et d’étangs de pêche et à des particuliers riverains partout sur le territoire. Les pisciculteurs vendent aussi aux poissonniers et aux chaînes d’alimentation des poissons adultes (âgés de 18 mois à 2 ans) pour la consommation.

Des poissons ontariens sur les étals

La survie des pisciculteurs québécois est menacée par la nature même de cette industrie. Plusieurs producteurs ont en effet lancé et fait progresser leur entreprise avec les moyens du bord. «La plupart sont des entreprises familiales qui se sont adaptées comme elles le pouvaient à la demande», explique M. Lallier.

Résultat: les populations de poissons «québécois» ne sont pas toujours les plus rentables et des truites de l’Ontario et même des États-Unis (de l’Idaho) viennent leur damer le pion. Si l’on veut commercialiser des poissons plus dodus et moins chers, il faut multiplier les croisements, rentabiliser chaque étape de la production. «Le matériel génétique des poissons n’est pas exploité à son maximum, et les chercheurs peuvent apporter leur contribution à ce chapitre», dit M. Lallier. Il ne s’agit pas de créer des espèces transgéniques mais de sélectionner les meilleurs individus pour produire des lignées plus intéressantes. Un professeur de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Pierre Belhumeur, s’intéresse à ce volet.

Lui-même spécialiste des maladies infectieuses, Réal Lallier s’attaquera à la furonculose et à la maladie bactérienne du rein, deux infections qui peuvent décimer jusqu’à 50 % d’une population de poissons en quelques jours. Quand on pense qu’une pisciculture peut contenir plus de 100 tonnes de poissons, la perte est considérable. Ses travaux de recherche ont permis la création d’une trousse pour le diagnostic de ces maladies.

Le problème n° 1: la pollution

Mais ce qui, de loin, inquiète le plus les exploitants, c’est le respect des normes environnementales, beaucoup plus exigeantes depuis cinq ou six ans. Selon Réal Lallier, bien des piscicultures n’observent pas les normes en matière de rejet du phosphore. Si le ministère de l’Environnement du Québec décidait d’appliquer la réglementation de façon coercitive, plusieurs devraient fermer leurs portes.

On associe plus volontiers la pollution aux grosses usines ou aux porcheries qu’aux bassins d’aquaculture. Pourtant, des milliers d’alevins et de poissons qui croissent en captivité rejettent forcément des déchets organiques. Ceux-ci ont longtemps été déversés sans traitement dans les cours d’eau. Yves Comeau, professeur à l’École Polytechnique, est l’un des spécialistes du traitement de l’eau et il s’est attaqué à la réduction de sa teneur en phosphore. Il effectue des travaux, notamment, au Biodôme de Montréal (voir Forum, du 26 février 2001 ). Des chercheurs en nutrition tenteront de diminuer la quantité de phosphore à l’autre bout du processus de la digestion: en utilisant une moulée qui produit moins de phosphore.

Les autres recherches porteront sur la gestion de l’aquaculture afin de rendre les entreprises plus compétitives. «Sur les présentoirs des Loblaws ou IGA, actuellement, on ne trouve que de 40 à 50 % de truites d’élevage du Québec. Si ça continue, cette proportion va diminuer encore.»

Inacceptable, estime le biologiste. Or, si les chercheurs universitaires possèdent l’expertise pour venir en aide à cette industrie, ils parlent un langage que les gens de l’entreprise privée ne comprennent pas toujours. Ces derniers ont trouvé en Réal Lallier un bon… allié. «Nous ressentons une certaine pression, explique-t-il. Mais nous avons confiance. Des résultats, nous en aurons d’ici un an.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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