Édition du 17 septembre 2001 / Volume 36, numéro 4
 
  Biberons, couches et examens
Biberons, couches et examens

Les étudiants au doctorat Camille Risler et Cyril Pahlavi avec leurs enfants: Louis, quatre ans, et Jana, neuf mois

Environ 15 % des étudiants de l’Université sont aussi parents.
Un jeu de blocs dans un coin; des papiers et des crayons de couleur sur une table. Louis, quatre ans, fait un dessin pour sa maman qui travaille à l’ordinateur. «Ce n’est pas facile d’écrire avec deux enfants. J’en profite lorsque la petite dort et que Louis s’amuse sagement», dit Camille Risler, étudiante au doctorat au Département d’histoire.

À 26 ans, Camille a choisi d’avoir ses enfants pendant ses études. «On en voulait plusieurs, autant commencer tout de suite», souligne cette jeune mère en souriant. Quatre ans après la naissance de Louis, Jana est venue au monde au grand plaisir du père, Cyril Pahlavi, aussi étudiant aux cycles supérieurs.

Mais donner le biberon et changer les couches tout en étudiant n’est pas de tout repos. accès de fièvres, otites et pneumonies font souvent passer des nuits blanches aux parents. «L’année dernière, j’ai été très souvent à l’hôpital. J’ai même dû reporter plusieurs fois des examens parce que mon fils était malade», confie Bianca Veilleux, 25 ans et mère de deux bambins — Daouda, deux ans, et Moctar, trois mois.

Selon l’étudiante au baccalauréat à la Faculté des sciences de l’éducation, les difficultés que vivent les parents étudiants sont les mêmes que ceux qui travaillent. Avec, en prime, les problèmes financiers. Au point que le macaroni au fromage semble parfois un luxe. Pourtant, à l’Université, près de 5000 personnes concilient, bon gré mal gré, les responsabilités parentales et les études. Pour certains, c’est un choix; pour d’autres, la nature a décidé pour eux.

Halte ou j’abandonne!

«Environ 15 % des étudiants de l’Université de Montréal ont des enfants», signale Christine Husson, directrice de La Cigogne, un organisme d’aide aux parents étudiants affilié au centre Benoît-Lacroix.

Seule association en son genre présente sur le campus, La Cigogne offre un soutien moral et une aide matérielle à une centaine de mamans et papas de l’Université de Montréal, de l’École des Hautes Études Commerciales, de l’École Polytechnique et même de l’Université du Québec à Montréal. Par exemple, La Cigogne a mis en place un vestiaire d’échanges de vêtements pour mères et bébés et un service d’achats en groupe qui permet de réduire considérablement les frais de nourriture.

Pour Mireille Chalifour, une mère monoparentale qui termine un diplôme d’études supérieures spécialisées en environnement et prévention, les services de La Cigogne sont d’une aide précieuse. L’étudiante de 28 ans, qui a connu jusqu’ici une vie beaucoup plus mouvementée que la plupart des gens, laisse malgré tout paraître une tranquille assurance. Avec son garçon de sept mois, Joaquim, elle se débrouille pour survivre.

«Par souci d’économie, j’utilise les couches lavables de coton et je cours les ventes-débarras», confie la maman de Joaquim. Elle parvient à joindre les deux bouts malgré un agenda chargé: travail (une quinzaine d’heures par semaine), études (à temps plein) et responsabilités parentales. Convaincue que les études sont le gage d’un avenir meilleur, elle tient à obtenir son diplôme. Mais elle trouve l’objectif difficile à atteindre, car il existe peu de ressources pour les femmes dans sa situation.

Pierre-Jean L'Heureux s'occupe de son fils de neuf mois, Xavier, pendant que sa femme travaille. Le doctorant en chimie admet que les journées ne sont pas de tout repos.

Même discours de la part de Bianca Veilleux. Elle considère que les établissements universitaires ne sont pas bien adaptés à la réalité des étudiants d’aujourd’hui. «Rien n’est fait pour les jeunes parents, déplore–t-elle. L’année dernière, mon fils était sur une liste d’attente à la garderie. Pour assister à mes cours, j’ai dû payer une gardienne. Quatre cents dollars par mois, ça défonce un budget!»

L’un des besoins les plus criants est l’accès à un service de garde occasionnelle à prix modique, fait remarquer cette future enseignante. Ce que confirme Mireille. «Lorsqu’on étudie, on n’a pas besoin de faire garder notre progéniture cinq jours par semaine. Mais paradoxalement, il en coûte plus cher pour la garde à mi-temps.»

 
 
Bonnes nouvelles

En dépit des difficultés financières, du stress et de la fatigue, bon nombre d’étudiants s’engagent dans cette aventure. Les études de plus en plus longues contribueraient à accentuer le phénomène des parents étudiants, selon la directrice de La Cigogne. «C’est une réalité qui doit être prise en considération par l’administration. Une université tournée vers l’avenir doit tenir compte des besoins de sa clientèle afin d’augmenter ses chances de réussite», estime la travailleuse sociale, elle-même mère de trois enfants.

L’ouverture, le 4 septembre dernier, de la halte-garderie Le Baluchon (514-340-0440), projet auquel les étudiants ont donné un appui massif au dernier référendum mené par la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, représente un pas dans la bonne direction.

À l'heure actuelle, seuls les parents qui étudient à plein temps peuvent obtenir des prêts et bourses. Une annonce ministérielle a proposé de rendre admissibles les étudiants à temps partiel au régime de l'aide financière pour l'année 2002-2003. «Avec des enfants, c’est difficile de consacrer tout son temps aux études», souligne Bianca. «Faute de ressources financières, plusieurs mères se découragent et décrochent, surtout quand le marché du travail ne garantit absolument pas aux femmes que leur diplôme coûteux se traduira par un salaire plus élevé.»

L’éducation des femmes repose sur une lutte historique, rappelle Mme Husson. Il n’est donc pas étonnant de les retrouver aux premiers rangs d’un mouvement grandissant comme La Cigogne. Des femmes comme Camille, Mireille et Bianca, qui veulent améliorer leurs conditions de vie, pour elles et pour leurs enfants.

Signe des temps, un regroupement de papas étudiants a été formé l’année dernière au sein de l’organisation. Les activités du groupe, nommé Les Hippocampes (chez ces poissons, ce sont les mâles qui portent les petits dans l’abdomen jusqu’à leur naissance), visent à permettre aux pères de discuter de leur rôle et d’établir un réseau d’entraide et de ressources pour promouvoir l’épanouissement du jeune papa.

Une initiative qui marque peut-être d’autres changements à venir.

Dominique Nancy

Parents prématurés?

«Nous sommes perçus comme des têtes folles, des inconscients. Car notre cheminement ne correspond pas à l’approche traditionnelle qui consiste d’abord à finir ses études avant de se marier et de faire des bébés.»

Celle qui parle ainsi est Bianca Veilleux, 25 ans, mère de deux enfants et étudiante au baccalauréat à la Faculté des sciences de l’éducation. La mauvaise perception qu’elle déplore de la part de certains camarades de classe s’exprime souvent par un refus de travailler en équipe. «Ils ont peur que nous ne soyons pas assez disponibles», croit Bianca. L’incompréhension n’est pas généralisée, précise-t-elle, mais le malaise creuse un fossé entre les parents et les jeunes de la même génération.

La situation semble toutefois différente aux cycles supérieurs, comme en témoigne un doctorant de 28 ans, Pierre-Jean L’heureux. Né à Québec, ce père d’un petit garçon — Xavier a neuf mois — affirme recevoir un bon soutien des gens de son département. Même version pour Camille Risler, qui fait une thèse au Département d’histoire.

Dans leur cas, c’est plutôt le manque d’aide de leurs proches qui pose parfois un problème. Camille explique. «Comme ma famille et celle de mon mari vivent en France, on n’a pas de mère ni de mamie pour nous dépanner à la dernière minute. Heureusement qu’au troisième cycle les étudiants disposent d’un horaire plus souple, sinon la situation serait un véritable casse-tête», commente la doctorante âgée de 30 ans.

Malgré tout, Camille et Pierre-Jean jubilent devant les joies que procurent la maternité et la paternité. «Il y a, bien sûr, des désagréments à avoir des enfants pendant les études, affirme l’historienne. Mais c’est le meilleur moment si l’on veut passer le plus de temps avec eux.»

D.N.


 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications