Édition du 24 septembre 2001 / Volume 36, numéro 5
 
  Le macaque altruiste
Chez les macaques, le partage de nourriture répond aux lois du degré d’apparentement génétique.

En éthologie, tout geste coûteux pour celui qui l’accomplit et qui bénéficie à celui à qui il est destiné est considéré comme altruiste, souligne Patrick Bélisle.

Parler d’altruisme chez les primates peut en surprendre plusieurs, mais ce comportement est loin d’être l’apanage de l’être humain. L’altruisme serait en fait observable chez tous les animaux vivant en société, de la fourmi jusqu’à l’Homo sapiens.

Patrick Bélisle, étudiant au doctorat au Département d’anthropologie, a cherché à observer ces comportements chez les macaques japonais au Laboratoire de primatologie. Mais que doit-on entendre par altruisme chez les animaux?

«On désigne par altruisme tout geste coûteux pour celui qui l’accomplit et qui bénéficie à celui à qui il est destiné», précise l’étudiant. Un cri d’alarme, par exemple, est considéré comme altruiste puisqu’il met en péril la vie de celui qui l’émet en attirant sur lui l’attention du prédateur. Les chauves-souris vampires, malgré la crainte qu’elles inspirent, sont curieusement très altruistes: les femelles qui ne peuvent aller se nourrir parce qu’elles allaitent sont nourries par les autres.

Pour les besoins de sa recherche, Patrick Bélisle a choisi de mesurer l’altruisme chez les macaques par le partage de nourriture entre femelles dominantes et femelles subordonnées adultes. «Nous savions que ce partage —ou cette tolérance à l’égard de l’autre — n’était pas observable chez les non-apparentées, mais nous ne savions pas où se situait le seuil de l’altruisme entre les individus d’une même famille», souligne-t-il.

Un tel travail ne pouvait par ailleurs se faire avec des mâles puisqu’ils n’ont aucun moyen de reconnaître leurs descendants.

Altruisme parental

Pour établir ce seuil, 18 dyades de cinq types ont été constituées: mères-filles, grands-mères – petites-filles, sœurs-sœurs, tantes-nièces et femelles non apparentées. Chaque dyade a été soumise 12 fois à une situation contrôlée où les femelles n’avaient qu’une cinquantaine de raisins à se partager en guise de repas quotidien.

«Ce contexte est important puisqu’il fallait s’assurer que le partage de la nourriture était bel et bien motivé par l’altruisme», explique Patrick Bélisle. D’autres motifs peuvent en effet conduire à une apparence de partage, comme le fait d’être rassasié ou d’avoir à investir un effort trop grand dans la défense de la nourriture.

«Ceci nous a permis d’observer que les mères ont laissé leurs filles manger avec elles pendant 80 % du temps total d’alimentation. La présence de la subordonnée dans les dyades de sœurs et les dyades de grands-mères et petites-filles n’a par contre été tolérée que pendant 15 % du temps. Quant aux tantes, elles tolèrent leurs nièces moins de 5 % du temps, ce qui est comparable à ce qui se passe entre des femelles non apparentées.»

Ce temps se calcule en secondes puisque chaque repas ne durait que de une minute à une minute et demie.

Pour le chercheur, ces résultats montrent que l’altruisme est nettement plus marqué entre mères et filles, soit dans les dyades où la proximité génétique est la plus grande, les mères partageant 50 % de leurs gènes avec leurs filles. Au-delà du lien entre sœurs ou entre grands-mères et petites-filles (qui représente dans les deux cas une proximité génétique de 25 %), la parenté ne semble plus reconnue.

«Ce seuil s’avère identique à celui qui délimite l’évitement de l’inceste et l’homosexualité chez les femelles macaques», précise Patrick Bélisle. D’autres travaux ont également montré que le favoritisme dans l’accession au rang de femelle dominante ne va pas au-delà de ce même seuil et que l’altruisme entre les apparentées immédiates n’est pas influencé par l’ordre hiérarchique des individus.

Le chercheur et son directeur, Bernard Chapais, expliquent cette forme d’altruisme par la théorie de la sélection parentale: l’individu a intérêt à favoriser la survie de ses descendants parce que c’est son propre bagage génétique qu’il avantage. C’est ce qui expliquerait qu’il y a corrélation positive entre l’intensité de l’altruisme et le degré d’apparentement.

Le primate humain

Une femelle macaque et son petit, au Laboratoire de primatologie.

Si l’altruisme chez les macaques peut être expliqué par la proximité génétique, peut-il en être de même chez les humains? Patrick Bélisle croit que oui.

«L’être humain se distingue par un altruisme plus étendu, mais je ne pense pas qu’il existe de gestes purement gratuits, dit-il. On retire toujours quelque chose d’un comportement altruiste, ne serait-ce que la satisfaction immédiate d’avoir accompli un acte socialement valorisé. Cette satisfaction est un sentiment lié à des attitudes qui nous aident à vivre en société. Même si nous expliquons l’altruisme par un égoïsme génétique, cela n’enlève toutefois rien au mérite du geste ni à l’authenticité du sentiment éprouvé», tient-il à préciser.

En termes évolutionnistes, on pourrait donc dire qu’il est socialement bien vu d’exprimer son égoïsme en aidant les autres!

Dans le jargon de la discipline, l’altruisme humain demeure l’expression d’une habileté adaptative retenue par la sélection naturelle pour sa valeur reproductive. S’il va bien au-delà du seul cercle des apparentés immédiats, c’est que l’Homo sapiens noue des relations sociales très étendues et très complexes. Le contrôle qu’il exerce sur son comportement lui permet en outre d’utiliser ses capacités à d’autres fins que celles pour lesquelles la sélection naturelle les a retenues.

Daniel Baril



 
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