Édition du 1er octobre 2001 / Volume 36, numéro 6
 
  Des arracheurs de dents aux docteurs en médecine dentaire
Le musée Eudore-Dubeau présente l’histoire de la dentisterie.

Père de la dentisterie moderne, Pierre Fauchard a publié en 1728 un traité qui faisait la synthèse des connaissances européennes les plus pertinentes en matière de «chirurgie dentaire», un terme dont la paternité lui revient. Si jusque-là ce champ d’études constituait un terrain de jeu privilégié pour les charlatans de tout acabit, ce traité allait ouvrir la voie à une science empirique connexe à la médecine.

«Avant Pierre Fauchard, certains croyaient que les caries étaient causées par des vers qui s’introduisaient dans les dents», dit en riant Denys Ruel, professeur à la Faculté de médecine dentaire et responsable du musée Eudore-Dubeau, consacré à l’histoire de la dentisterie au Québec et dans le monde. «La fumigation était l’un des traitements employés; on enfumait littéralement les patients; certains en mouraient.»

Professeur à la Faculté de médecine dentaire, Denys Ruel est le responsable du musée Eudore-Dubeau, qui fête ses 20 ans cette année. On lui doit plusieurs pièces de la collection.

Outre un exemplaire bien conservé du traité de Pierre Fauchard, dont moins d’une douzaine subsistent dans le monde, on peut voir au musée Eudore-Dubeau, situé au local D-129 du Pavillon principal, des milliers de pièces de collection témoignant de l’évolution de la dentisterie. Dans cet ancien auditorium converti en salle d’exposition permanente, on peut voir une centaine de crânes humains de toutes dimensions, collection qu’il serait impossible de constituer aujourd’hui pour des questions d’éthique.

Au cours de leur déambulation d’environ une heure, les visiteurs sont notamment plongés dans deux reconstitutions de cabinets de dentistes, l’un datant du début du siècle et l’autre des années 30. On retient surtout la beauté des lieux: des meubles en acajou, des fauteuils en velours, une atmosphère somptueuse. Il faut dire que les soins dentaires ont longtemps été réservées aux classes aisées. Les moins nantis devaient le plus souvent s’en remettre aux arracheurs de dents qui officiaient pour quelques sous derrière l’église le dimanche.

Ceux-ci inspirent depuis toujours les artistes qui chérissent le thème du lascar armé d’une grande pince, face à son client transi de peur. Plusieurs bas-reliefs, figurines et tableaux d’art naïf qui illustrent cette composition sont exposés dans les vitrines du musée.

Évolution technique

Laboratoire de prothèses dentaires durant les années 60

Ce qu’on a longtemps appelé «art dentaire» a évolué au rythme des changements technologiques. Les rayons X, par exemple, découverts en 1895 par Wilhelm Conrad Röntgen, font rapidement leur entrée dans les cabinets. Cela permettra aux dentistes de voir l’état de la dentition à travers la peau et les muqueuses.

«Les dentistes sont des “patenteux”. Ce n’est pas d’hier qu’ils se fabriquent des outils», signale le Dr Ruel. L’ancêtre des fraiseuses électriques était actionné par une pédale. On en trouve un magnifique témoin au musée. On voit que cet instrument, datant de 1895, a beaucoup servi, car la pédale a été usée par la chaussure du dentiste. «En Chine, ce type d’appareil est encore utilisé», mentionne le Dr Ruel en montrant une image du National Geographic Magazine.

L’anesthésie a aussi connu des changements. On délaissera, graduellement, la cocaïne puis le chloroforme sur un tampon d’ouate pour des méthodes plus modernes. Lorsque le protoxyde d’azote ou gaz hilarant démontre son efficacité à partir des années 30, il est adopté par les dentistes. Cependant, durant la décennie de 1960, une série de décès attribuables à l’utilisation de ce gaz y met fin subitement.

L’une des plus importantes innovations dans l’art dentaire a été l’apparition de la vulcanisation. Cette technique permet la fabrication de moulages en latex qui entrent dans la composition de prothèses dentaires mieux adaptées aux palais et aux gencives.

Le coloré Eudore Dubeau

Celui qui a donné son nom au musée a été le premier doyen de la Faculté de médecine dentaire. Personnage coloré, il détestait ouvertement le clergé et n’hésitait pas à se montrer avec sa maîtresse au volant de sa rutilante Cadillac. Homme d’affaires redoutable, il avait beaucoup voyagé et portait le titre ronflant de «consul honoraire du Portugal».

Après avoir reçu une formation d’apprenti auprès d’un dentiste professionnel, il a entrepris des études aux États-Unis avant d’ouvrir une école privée à l’angle des rues Saint-Hubert et De Montigny, à Montréal. Quand l’Université Laval pense ouvrir une succursale dans la métropole, en 1921, il ne tarde pas à s’associer au projet. En 1942, il cède ses plans de cours et son matériel à l’Université de Montréal, où l’on vient de fonder la Faculté de chirurgie dentaire.

Beaucoup de choses restent à découvrir en ce qui concerne l’histoire de la médecine dentaire, signale le Dr Ruel. Avec d’autres professeurs et chercheurs de sa faculté, il vient de créer un centre de recherche sur l’histoire de la médecine dentaire afin de lever le voile sur l’évolution de la discipline. «On veut mieux connaître l’apport des Québécois et des Canadiens à la dentisterie. On ne doit pas perdre notre mémoire professionnelle», dit-il.

Mathieu-Robert Sauvé

Musée Eudore-Dubeau, Pavillon principal, local D-129, entrée libre. Sur rendez-vous seulement: (514) 343-6111, poste 2877.


 
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