Édition du 15 octobre 2001 / Volume 36, numéro 7
 
  La «guerre civile mondiale» est le prix de la mondialisation
De passage à Montréal, Alain Touraine donnera une conférence sur l’acteur social.

Alain Touraine

«Je suis un New-Yorkais!» C’est ce qu’Alain Touraine a eu envie de crier lorsqu’il a vu à la télévision s’effondrer le World Trade Center. Quelques semaines plus tôt, le sociologue français («l’un des 10 intellectuels clés de notre temps», selon le doyen Louis Maheu, lui aussi sociologue) avait emmené sa petite-fille visiter la métropole des États-Unis, une ville où il se rend régulièrement. «Je me suis senti personnellement touché, car New York fait partie de mon monde. Comme Rome et Montréal», a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique de Paris.

Surpris, il l’a été comme tout le monde, le 11 septembre. Mais Alain Touraine, qui entame cette semaine une série de conférences au Canada, estime que les conditions d’une «guerre civile mondiale» sont réunies depuis que les grands argentiers de la planète ont consolidé leur conception de la mondialisation grâce à l’appui des gouvernements «libres». «Nous avons assisté à une décennie complète de mise en place de la mondialisation, déplore-t-il. Face à cela, la scène sociale est vide. Je suis de plus en plus convaincu que la mondialisation des échanges entraîne une mondialisation des conflits.»

Opposant affirmé à la mondialisation de l’économie, Alain Touraine est fier de dire qu’il était présent à Washington en 1996, lors du congrès des économistes du développement. Cette rencontre a marqué une rupture avec le discours néolibéral dominant. On connaît la suite: des événements violents ont marqué les grands sommets économiques de Seattle, Québec et Gênes. «Le bon sens doit revenir», résume le sociologue.

Terroristes hors d’état de nuire

À son avis, l’affrontement qui se prépare entre les alliés des États-Unis et les fondamentalistes de l’islam qui ont commis des actes terroristes ne doit pas opposer l’Occident à l’Orient ou telle religion à telle autre. Mais il affirme qu’il est «essentiel de mettre hors d’état de nuire les responsables des attentats, et aussi les talibans». Il est donc en faveur d’une intervention armée. À une autre époque, il avait appuyé l’intervention américaine contre l’Irak, ce qui lui avait valu plusieurs critiques.

Attention, cependant, aux croisades idéologiques. Le monde musulman ne doit pas devenir une cible. Cela dit, l’administration d’un État est incompatible avec le vocabulaire religieux. M. Touraine est d’ailleurs gêné par le «In God we Trust» et les références manichéennes de George W. Bush. «Je crois en un État laïque, même si un tel État est difficile à mettre en place.»

Le sociologue a un point de vue inusité sur le terrorisme islamiste. À son avis, les attentats récents témoignent du recul politique de l’islam dans plusieurs pays arabes comme l’Égypte, la Tunisie et le Maroc. «Si les éléments les plus radicaux de l’islam ont décidé de frapper si fort, c’est que l’islam politique est en déclin. L’islamisme guerrier est une conséquence de l’échec de l’islamisme politique.»

De l’utilité de la sociologie

Comme l’indique le titre de l’un de ses plus célèbres ouvrages, Pouvons-nous vivre ensemble? (Fayard, 1997), l’auteur s’intéresse depuis longtemps à la cohabitation entre les humains. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’il est anti-mondialisation qu’il est anti-international. Alain Touraine est un spécialiste de l’Amérique latine. Il est aussi régulièrement invité à Berkeley et dans de prestigieuses universités d’Europe.

«Ayant placé le sujet humain au centre de ses réflexions, il prétend que l’homme peut maîtriser sa destinée. Ce n’est pas pour autant un rêveur, car il reconnaît que des forces orientent les choix individuels», commente Louis Maheu, qui a travaillé dans son centre d’étude des mouvements sociaux de 1965 à 1970. M. Maheu considère même le sociologue comme un mentor.

Selon le doyen de la Faculté des études supérieures, Alain Touraine s’est toujours distingué par l’originalité de sa pensée. «Il a été le premier à parler de l’institutionnalisation du mouvement ouvrier. Cela lui a valu d’être traité de lâcheur par les gauchistes du temps.»

En plus de rencontres prévues avec des étudiants du Département de sociologie, M. Touraine donnera une conférence aux Belles Soirées de la Faculté de l’éducation permanente. Il abordera l’évolution du rôle des acteurs sociaux, de plus en plus tournés vers leurs intérêts personnels et l’hédonisme.

Mathieu-Robert Sauvé

«De l’acteur au sujet», conférence d’Alain Touraine le mercredi 17 octobre à 19 h 30. Entrée: 20 $; aînés: 17 $; étudiants: 10 $. Pavillon 3200 Jean-Brillant.



 
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