Édition du 15 octobre 2001 / Volume 36, numéro 7
 
  Le déficit de la politique sociale européenne
Le premier ministre du Luxembourg exprime sa déception quant à l’insuffisance des mesures sociales de l’Union européenne.

«À ma gauche, la place est libre», affirme le premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker.

«Je suis un frustré de la politique sociale qui accuse un grave déficit.» C’est pas cette déclaration-choc que le premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, a entamé la conférence d’ouverture du colloque de l’Institut d’études européennes, tenu les 28 et 29 septembre dernier.

Organisée à l’occasion du 25e anniversaire de l’accord de coopération commerciale et économique entre le Canada et les Communautés européennes, cette rencontre visait à analyser les liens entre politique économique et politique sociale.

Alors que les mesures sociales incluses ou prévues dans les traités de l’Union européenne font souvent l’envie des observateurs québécois, qui aimeraient bien en voir autant dans les traités nord-américains, le premier ministre Juncker a montré sa déception devant le manque de volonté visant à faire de la politique sociale un véritable levier de développement et d’intégration.

«D’immenses progrès ont été accomplis depuis 1985», a-t-il néanmoins souligné. À cette époque, Jacques Delors, président de la Commission européenne, «niait la nécessité d’intégrer une politique sociale à la politique du marché intérieur. C’était une erreur», estime M. Juncker.

Même s’il a été élu sous la bannière du Parti social chrétien et qu’il a déjà été gouverneur de la Banque mondiale, ce genre d’erreur lui fait dire qu’il y a beaucoup de place à sa gauche! Refusant l’étiquette de droite accolée à son gouvernement, le premier ministre luxembourgeois a affirmé que les socialistes, qui ont refusé la réduction du temps de travail, ne défendent pas de mesures différentes de celles des conservateurs.

Pour M. Juncker, si les règles du marché intérieur permettent aux entreprises nationales de fonctionner partout comme des entreprises locales, cela oblige l’Union européenne à adopter des normes minimales au chapitre des conditions de travail, du revenu, de l’égalité entre hommes et femmes, de la santé et de la sécurité.

Jusqu’à la fin des années 90, la seule norme en droit du travail adoptée par l’Union était qu’un contrat de travail devait être un contrat écrit. «Et elle a été obtenue après une longue lutte!» s’est étonné le conférencier. Ce n’est qu’en 1997 qu’aurait débuté la véritable réflexion sur la politique sociale, quand le premier ministre français, Lionel Jospin, a proposé la tenue d’un sommet européen sur le travail.

L’Union européenne était alors sous la présidence du Luxembourg: «J’ai réalisé que, si l’Union était composée de 14 autres pays, elle comprenait en fait 28 gouvernements, tant les ministres des Finances et les ministres du Travail des mêmes gouvernements se contredisaient.»

Selon Jean-Claude Juncker, si les gouvernements ont réussi à forcer la convergence pour favoriser l’unité monétaire, ils doivent faire preuve de la même volonté en politique sociale et en politique du travail. «L’emploi apparaît maintenant comme une ligne directrice fondamentale de l’intégration européenne et les gouvernements ne devraient pas avoir le droit de descendre en deçà de normes minimales en matière de licenciement, de travail à temps partiel, de congé parental, de rémunération et d’information sur les droits des travailleurs.» Le premier ministre n’a toutefois pas précisé quel devait être le plancher à ne pas dépasser.

En éliminant la concurrence entre les monnaies nationales, l’unité monétaire rend encore plus importante la nécessité de normes minimales afin d’éviter un nivellement par le bas. À défaut de telles balises, le premier ministre Juncker craint que les entreprises choisissent de s’établir là où les lois du travail seront les plus libérales.

Selon ses dires, son gouvernement maintient des lois du travail strictes et refuse la «déréglementation frénétique».

Daniel Baril



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications