Édition du 22 octobre 2001 / Volume 36, numéro 8
 
  «Au secours, docteur, je ne dors plus!»
Roger Godbout tente de percer les mystères de Morphée.

Les travaux du professeur Roger Godbout comprennent également un volet consacré à l’étude des molécules actives à l’état de veille et durant le sommeil. 

Mieux vaut une bonne nuit de sommeil qu’une nuit blanche passée à étudier, la veille d’un examen. La mémoire de travail, responsable de la mémorisation à court terme, est très affectée par la privation de sommeil.

Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie et chercheur associé à l’Hôpital du Sacré-Cœur et au Centre de recherche Fernand-Seguin, étudie les maladies du sommeil depuis 10 ans. À son avis, les gens prennent trop à la légère les bienfaits du dodo. «Le sommeil est indispensable à la récupération de l’organisme, soutient-il. Si l’on prive un rat de sommeil, il meurt au bout de 14 jours.»

La preuve en a été faite au Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques de l’Hôpital du Sacré-Cœur, où Forum a rencontré le spécialiste de la neurobiologie psychiatrique. M. Godbout s’intéresse tout particulièrement au sommeil des animaux pour mieux comprendre celui des humains. «Au début, l’animal mange plus, mais il maigrit et des lésions cutanées apparaissent sur son corps, rapporte le chercheur. La phase finale de privation de sommeil s’accompagne d’une chute de la température corporelle et d’une perte de poids continue.»

La cause de cette mort demeure toutefois un mystère. Certains scientifiques croient qu’il s’agit d’un dérèglement du système immunitaire. Mais le débat est loin d’être clos. Chez les humains, on ne peut pas mener des recherches aussi poussées sur la privation de sommeil. Cependant, on sait que les sujets humains semblent assez bien s’accommoder du manque de sommeil. «Aucune maladie n’a été constatée, mais le cerveau s’en trouve affecté. On observe des changements d’humeur, des problèmes de concentration et une diminution des performances cognitives», signale Roger Godbout.

Pourtant, selon l’Institut du sommeil et de la vigilance, un organisme issu de trois laboratoires pharmaceutiques en France, les troubles du sommeil favoriseraient les crises cardiovasculaires et gastro-intestinales, augmenteraient considérablement les risques de dépression et pourraient même conduire à l’alcoolisme.

«Balivernes, que tout cela! Rien n’a encore été démontré dans ce sens malgré les prétentions de certains lobbyistes, affirme le professeur. L’inverse est beaucoup plus plausible. Si l’on a des brûlures d’estomac ou qu’on est anxieux la veille d’un examen, il est normal d’avoir de la difficulté à s’endormir.»

Plus de 100 maladies du sommeil

Selon un sondage effectué en 1996 par la firme Gallup, un Québécois sur cinq souffre de troubles du sommeil. La liste des maladies du sommeil en compte une centaine. On connaît assez bien les insomnies. Les spécialistes de la santé en reconnaissent trois formes, soit les difficultés d’endormissement (prendre plus de 30 minutes pour s’endormir), le sommeil interrompu et les réveils matinaux précoces. On sait aussi les distinguer des parasomnies, phénomènes indésirables qui surviennent pendant la nuit comme parler, grincer des dents, crier, gesticuler, marcher, donner des coups de pied et s’éveiller confus ou paralysé.

«Plus de la moitié des gens qui rapportent des troubles du sommeil présentent au moins une parasomnie», signale M. Godbout. Certaines se manifestent durant le sommeil lent, qui compose 80 % du temps de sommeil. C’est le cas notamment des hallucinations hypnagogiques (perceptions visuelles ou auditives survenant à l’endormissement), des terreurs nocturnes (se réveiller en criant) et du somnambulisme (déambulation nocturne inconsciente). Le sommeil paradoxal —période caractérisée entre autres par une absence de tonus musculaire et par une activité cérébrale comparable à celle de l’éveil — est quant à lui associé aux cauchemars et à la paralysie du sommeil, syndrome qui empêche le dormeur de bouger au réveil.

Moins connus sont les troubles du rythme circadien et l’hypersomnie. Les problèmes liés aux rythmes biologiques, notamment causés par le travail de nuit, prennent la forme d’anomalies du cycle veille-sommeil. La période de sommeil est alors décalée dans les 24 heures. Un peu comme si notre horloge biologique ne parvenait pas à s’ajuster à un décalage horaire. Quant à l’hypersomnie, elle résulte d’une difficulté à induire ou à maintenir l’état de veille. «Les hypersomniaques dorment comme une bûche, indique Roger Godbout. Pourtant, ils éprouvent une forte somnolence diurne. Le jour, ils sont incapables de rester éveillés pendant de longues périodes d’affilée.»

La narcolepsie, une maladie neurologique qui se manifeste par une désorganisation du sommeil et de ses rythmes, est une forme d’hypersomnie. Elle est caractérisée par des transitions abruptes de l’éveil au sommeil paradoxal. Cela entraîne aussitôt une atonie musculaire. Parfois, la perte de tonus survient lorsque le patient narcoleptique rit ou se met en colère. «Une bonne blague au cours d’un dîner peut le faire s’effondrer la tête la première dans son assiette», assure le professeur.

Des chercheurs américains ont récemment découvert un gène lié au récepteur d’une hormone naturelle (l’hypocrétine) qui serait associée à la narcolepsie du chien. Ce gène existe aussi chez l’homme et il se trouve probablement au centre de cette maladie. Mais personne ne peut encore l’affirmer.

Pourquoi l’étude du sommeil est-elle si importante? «On passe le tiers de notre vie à dormir. La médecine de la santé humaine n’aborde les gens que sous l’aspect de l’éveil. Or, on sait que ce qui se passe pendant le sommeil a un effet sur la vie diurne. L’étude du sommeil et de l’activité onirique qui l’accompagne est essentielle pour comprendre l’humain dans son entier», fait valoir Roger Godbout.

Avec des investissements substantiels, la génétique et la biologie moléculaire apporteront au cours des années qui viennent des éclaircissements sur les différents troubles du sommeil, estime-t-il. On pourrait découvrir ainsi de nouveaux neurotransmetteurs, spécifier l’activité des cellules et mieux comprendre la fonction physiologique des différents états du sommeil. Mais il faudra sans doute attendre encore un peu avant d’avoir accès à de nouveaux médicaments. Car chaque découverte est le fruit de plusieurs années de travail. Et à l’image du sommeil, la recherche n’est pas toujours de tout repos…

Dominique Nancy

Qui rêve apprend…

«Priver des rats de sommeil paradoxal, période où les rêves sont plus vifs et plus fréquents, altère l’apprentissage de nombreuses tâches», soutient Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie. À son avis, les songes optimisent nos habiletés d’apprentissage et notre équilibre psychologique.

De nombreuses recherches expérimentales sur les relations «rêves-sommeil-mémoire» le confirment déjà: l’assimilation des connaissances est optimale lorsqu’elle est suivie d’une période de repos. Mais quelle phase du sommeil permet de consolider les expériences nouvelles? On l’ignorait jusqu’à ce que des scientifiques comme M. Godbout mènent des études sur des animaux.

Ses travaux ont mis en évidence un lien fonctionnel entre l’activation cérébrale pendant le sommeil paradoxal et l’apprentissage de tâches qui requièrent la contribution du cortex préfrontal comme l’orientation spatiale. Cette découverte corrobore l’idée selon laquelle l’assimilation de l’information serait dépendante du sommeil paradoxal ou du rêve. Mais l’hypothèse reste encore débattue.

D.N.

Le dépressif est souvent insomniaque

L’insomnie passagère est sans conséquences graves. «Le pire qui peut arriver est d’avoir les traits tirés et d’éprouver des difficultés de concentration», souligne Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie. Mais lorsque ce trouble de l’induction ou du maintien du sommeil survient plus de trois fois par semaine et persiste au-delà d’un mois, il ne faut pas hésiter à consulter un médecin.

Pour M. Godbout, l’insomnie est comme la douleur. «C’est un signe que quelque chose ne va pas.» Près de 40 % des insomniaques souffrent d’anxiété et il n’est pas rare qu’une maladie physique ou un trouble respiratoire soit à l’origine du problème. Dans 14 % des cas, la cause est une mauvaise hygiène de sommeil. Par exemple, boire du café avant de dormir ou faire une sieste en soirée.

Parfois, certaines personnes anxieuses parviennent à maintenir leur humeur en s’organisant pour être surchargées de travail. En général, leur humeur se détériore au cours du week-end ou pendant les vacances. L’insomnie est alors le signe d’une dépression latente qui nécessite une aide psychologique ou psychiatrique. «Les insomniaques sont soignés par des traitements pharmacologiques ou par des thérapies comportementales. L’idéal est de combiner les deux types de traitements», selon le professeur Godbout.

D.N.



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications