Édition du 22 octobre 2001 / Volume 36, numéro 8
 
  L’euthanasie peut être «éthiquement acceptable»
Mais les médecins s’opposent massivement à sa légalisation.

Après s’être fait amputer les deux jambes, Jacques Artaud a vu sa maladie continuer de progresser, malgré un pronostic optimiste. Au cours d’une rencontre avec son médecin, celui-ci suggère une nouvelle intervention «agressive»: l’amputation des mains, puis éventuellement des bras. «Là, j’ai dit non, relate l’homme devant la caméra de Lina Moreco, qui tourne Mourir pour soi (ONF, 2000). Vieillir avec un corps sans jambes, sans bras, j’en serais incapable. J’aime mieux attendre la mort, dont je n’ai pas peur. Pour moi c’est un moment qui peut être sublime. J’ai confiance.»

Accepter l’inéluctable, pour les personnes malades en phase terminale, c’est souvent une démarche complexe, difficile. Mais lorsque le dernier espoir de survie est éteint, certains aimeraient mettre fin à leur vie insensée. Terry Graham, atteint d’une myopathie qui le confine dans son lit 24 heures par jour, ne demande qu’à mourir, mais les médecins qui le traitent refusent de lui injecter une solution fatale. «Je n’ai plus de vie, dit-il en sanglotant. J’existe, c’est tout.»

Ces témoignages s’ajoutent à ceux de Nicole Ayoub, opérée huit fois pour le cancer, et de Roger Bouchard, tétraplégique dont l’espérance de vie ne dépasse pas cinq ans. Ils sont intercalés entre des propos de médecins dans le long métrage de Mme Moreco, qu’on peut qualifier de plaidoyer en faveur d’une légalisation de l’euthanasie. À l’ouverture du colloque Lucille-Teasdale, le 28 septembre dernier, Mourir pour soi a été projeté devant une salle remplie de médecins. «C’est la quatrième fois que je visionne ce film et les propos de M. Graham me bouleversent toujours autant, dit l’un des conférenciers, le Dr François Lehman. À ce patient, il faut l’admettre, les médecins ont peu à offrir. Les pasteurs, les infirmières et les préposés peuvent faire davantage pour ce malade que n’importe quel médecin.»

Organisateur du colloque, le Dr Lehman est professeur à la Faculté de médecine et responsable de l’enseignement des soins palliatifs. C’est lui qui a eu l’idée de projeter le documentaire afin de stimuler la réflexion avant les allocutions. À sa demande, David Roy, directeur du Centre de bioéthique de l’Université de Montréal, et le Dr Marcel Boisvert, de l’Université McGill, ont donné leur opinion sur le thème «Euthanasie ou soins palliatifs?»

«L’euthanasie consiste à donner la mort sans douleur. Il y a certainement des moments où l’euthanasie est éthiquement acceptable», a dit David Roy, qui a été ébranlé par le film au point de remettre en question certaines de ses positions. M. Roy s’en prend, par exemple, à l’attitude du médecin de Mme Ayoub, qui disait ne jamais mettre en doute ses interventions. Sa patiente, dont on voyait le cœur battre puisqu’elle n’avait plus de sternum, attendait une neuvième chirurgie. Le doute, estime le bioéthicien, devrait être inscrit dans tout acte médical.

Le film correspond «assez bien à mon expérience» avec des patients en fin de vie, a affirmé Marcel Boisvert, l’un des rares médecins canadiens à avoir pris position en faveur de la légalisation. «Les vraies demandes d’euthanasie sont longuement mûries, dit-il. Elles ne sont pas comparables aux pseudo-demandes du genre: “Si vous ne pouvez pas soulager mes souffrances, mettez-y fin.”»

Au cours de sa carrière, il a entendu quelques dizaines de patients dire qu’ils envisageaient l’euthanasie mais qui pour la plupart, avec le temps, ont finalement reconsidéré leur décision. «Pour les malades qui persistent, je me range du côté de ceux qui estiment que les lois actuelles sont inadéquates», allègue le médecin. À son avis, il n’y aurait pas d’abus dans les hôpitaux Notre-Dame, Royal-Victoria ou ailleurs si une loi existait. La conscience et la compétence des médecins les garderaient à distance des dérives.

Pour les participants à cette demi-journée de réflexion, un consensus se dégage: en mettant plus d’argent et d’énergie dans les services de soins palliatifs, notre vision de la mort s’en trouvera modifiée, et peut-être que l’acharnement thérapeutique sera moins courant. Actuellement, seulement 5 à 10 % des demandes d’accès à des services de soins palliatifs peuvent être honorées.

La rencontre s’est terminée par la remise du prix Lucille-Teasdale, du nom d’une diplômée de l’Université de Montréal en chirurgie qui s’est consacrée aux soins des personnes atteintes du sida en Afrique. Le lauréat, cette année, est Jean-Pierre Guay, de l’hôpital Notre-Dame.

M.-R.S.


 
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