Édition du 22 octobre 2001 / Volume 36, numéro 8
 
  Courrier
Identité et orientations sexuelles

J’ai lu par hasard le bulletin Vies-à-vies de janvier 2001 (vol. 13, no 3), attiré par le titre «Identité et orientations sexuelles», d’Anouk Beaudin.

Espérant que l’article distinguerait bien justement identité sexuelle et orientation sexuelle, j’ai été déçu d’y trouver des références anciennes aux théories freudiennes. Pourquoi avoir utilisé l’ouvrage de Michel Bon, datant de 1975, alors que tant d’études récentes apportent un éclairage beaucoup plus solide? Pourquoi n’avoir fait aucune référence aux études gaies et lesbiennes qui sont produites partout dans le monde? Pourquoi n’avoir pas demandé l’avis de spécialistes vivant au Québec?

Si l’on admet qu’il «n’y a pas une théorie unique de l’homosexualité et de la bisexualité», pourquoi ne mentionner que celle du complexe d’Śdipe? Le développement des goûts, attirances, affinités comme des dégoûts, répulsions et aversions est fort complexe et fait appel à des séries d’images intériorisées qui ne témoignent pas nécessairement de la maturité ou de l’immaturité. Prétendre qu’une personne homosexuelle ou bisexuelle peut être moins mature qu’une personne hétérosexuelle, c’est faire preuve d’une homophobie flagrante et n’est pas plus sérieux que de prétendre qu’une personne qui préfère le poulet au poisson est moins mature que celle qui préfère le poisson au poulet. J’invite Mme Beaudin et les responsables du SOCP à lire le «Que sais-je?» sur l’homophobie, de Daniel Borrillo.

Au contraire, il n’est pas rare que les personnes homosexuelles, habituées à l’adversité, aient beaucoup plus de maturité que les personnes hétérosexuelles, de même que les femmes, habituées au sexisme, sont souvent plus matures que les hommes.

La conclusion de l’article contient aussi des sous-entendus et des présupposés qui sont propres à culpabiliser et à décourager les étudiants doutant de leur orientation sexuelle. Dire que la pression sociale et le manque d’acceptation familiale conduit les personnes homosexuelles et bisexuelles à des difficultés dans la recherche de leur équilibre, c’est laisser entendre qu’elles sont condamnées au déséquilibre et à l’immaturité tout en négligeant de dire que leur détresse a une cause qui leur est extérieure (l’homophobie) et que ce mal (l’intolérance homophobe) est un défaut de la société auquel il existe un remède, c’est-à-dire l’acceptation de soi et la promotion du respect des personnes homosexuelles et bisexuelles.

Comment se fait-il que l’article ne contienne aucun message positif? Dire que les déterminismes qui font notre orientation sexuelle sont indépendants de notre volonté sans ajouter qu’aucune de ces orientations n’est mauvaise, c’est laisser entendre: «Ce n’est pas de ta faute si tu es comme ça. Alors, prends ton mal en patience.» Eh bien, non. Il n’y a aucune raison d’endurer l’intolérance. Il est possible d’être gai dans tous les sens du terme, et c’est le cas de la grande majorité de ceux que je connais. Et cela, c’est sans parler de la durée de vie des couples, qui est tout aussi longue chez les personnes homosexuelles que chez les hétérosexuels. (J’ai fait partie d’un groupe de discussion réunissant des dizaines de couples dont la moyenne de durée était de plus de 15 ans.)

À une époque où l’on constate un taux de suicide important chez les jeunes gais (voir l’étude de Michel Dorais, «Mort ou fif») à cause de l’intolérance et de l’homophobie, ce n’est pas le temps de culpabiliser les gais et lesbiennes, mais plutôt d’éduquer la société. Je recommande fortement aux responsables du SOCP de consulter le GRIS (Groupe de recherche et d’intervention sociale gaies et lesbiennes) de Montréal au numéro (514) 590-0016.

Vous y trouverez des ressources pour rajuster votre tir et aider vraiment les étudiants plutôt que de les déprimer par des remarques partielles, partiales et culpabilisantes.

Dans ce malheureux article, un message sous-entendu disait: «Adopter l’orientation homosexuelle, c’est vous diriger vers le malheur, la dépression, l’immaturité et l’incompréhension.» Il faut corriger cette vision. On ne dit pas à un Noir: «Tu seras malheureux toute ta vie et c’est normal.» On lui dit: «Tu as le droit d’être heureux comme tout le monde. Et si l’on ne te respecte pas, il y a une charte des droits. En attendant qu’il y ait assez de sagesse dans le monde, il faut éduquer ton entourage.» C’est exactement la même chose avec toutes les minorités.

Je suis aussi étonné que l’auteure ne tienne pas compte du fait que la sexualité n’a plus nécessairement de lien avec la reproduction. Il n’y a donc aucune raison pour que, socialement, une orientation sexuelle soit préférée à une autre.

On s’attendrait à nettement mieux de la part d’un service d’aide psychologique d’une grande université. Si mes étudiants se sentent mal à l’aise, je leur trouverai des sources de soutien beaucoup plus réconfortantes.

Francis Lagacé
Chargé de cours à la FEP



 
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