Édition du 5 novembre 2001 / Volume 36, numéro 10
 
  «On a fermé les prisons pour de mauvaises raisons»
Le député Jacques Dupuis croise le fer avec des criminologues.

Le député Jacques Dupuis (à gauche) a présenté sa vision de la question policière et de la sécurité publique au cours d’un débat auquel participaient André Normandeau (à droite) et Pierre Landreville (au centre). 

Selon les Services correctionnels du Québec, il y a actuellement 3527 détenus dans les prisons québécoises. Mais comme on peut compter jusqu’à 6000 sentences à purger simultanément, il existe un problème de surpopulation chronique que la Protectrice du citoyen mentionne dans son dernier rapport. De passage à l’Université de Montréal le 19 octobre dernier, le député libéral de Saint-Laurent, Jacques Dupuis, a dénoncé avec véhémence ce problème. «Cela contribue à la crise de confiance du public envers le système correctionnel», a affirmé le critique de l’opposition officielle en matière de justice et de sécurité publique. Il participait à un débat-midi du Centre international de criminologie comparée qui réunissait les professeurs de l’École de criminologie Pierre Landreville, André Normandeau et Maurice Cusson, ainsi qu’une trentaine de personnes.

Dans une grande opération de rationalisation, on a fermé une dizaine de prisons au Québec depuis les années 1970, et M. Dupuis le déplore. «C’était par souci d’économie, accuse-t-il. Le gouvernement a fermé les prisons pour de mauvaises raisons.»

Cela dit, il est urgent de rechercher des solutions à l’emprisonnement. Et comme une proportion importante de gens incarcérés le sont uniquement à cause d’amendes non payées, l’avocat et ancien procureur de la couronne suggère de refuser tout simplement l’accès à différents permis délivrés par l’État (permis de conduire, permis de chasse, etc.) aux mauvais payeurs. Cela permettrait de libérer les cellules. Selon le député de Saint-Laurent, cette idée, pourtant facile à appliquer, a été rejetée du revers de la main par le ministre Guy Chevrette.

À cela, Pierre Landreville, qui mène des recherches depuis 20 ans sur l’emprisonnement, a répondu que la fermeture des prisons n’avait pas entraîné une diminution significative du nombre de cellules. «On a fermé des petites prisons de 20 ou 30 cellules, mais on en a ouvert de plus grandes. Le nombre total de cellules n’a pratiquement pas varié depuis 30 ans.»

Bilan de la question policière

Par ailleurs, le député a critiqué les timides retombées des commissions d’enquête sur la police qui se sont additionnées au cours des dernières années. Les rapports Bellemare, Corbo et Poitras n’ont pas donné grand-chose, estime-t-il. «Il me semble que le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, aurait pu saisir la balle au bond à l’occasion de la publication du rapport Poitras, en 1999, pour engager une réforme de la Sûreté du Québec. Le gouvernement a manqué là une belle occasion de séparer une fois pour toutes la police et le pouvoir politique.»

«Angélisme», a rétorqué André Normandeau, qui estime que le député fait comme si le pouvoir syndical des policiers n’existait pas. Les syndicats n’auraient certes pas laissé le ministre agir à sa guise. Mais le criminologue partage l’avis du député quant aux retombées concrètes des diverses commissions gouvernementales sur les forces de l’ordre. «Très décevantes», dit-il.

«Les choses ont-elles changé depuis la publication du rapport Poitras? a demandé M. Dupuis. La loi du silence entre les corps policiers et le public existe-t-elle encore? Y a-t-il protection des policiers entre eux?» Poser la question, c’est y répondre.

Visions différentes

Le ton a monté d’un cran lorsque les participants ont confronté leurs visions durant la période des échanges. Pour Pierre Landreville, la surpopulation des prisons doit être réglée par diverses mesures qui ne font pas l’unanimité. «Si l’on ne peut se payer que 3500 cellules dans les prisons du Québec, alors il faut agir en conséquence. En Belgique, où l’on connaît un problème similaire, on amnistie les gens dont les peines sont de moins de trois mois. Si nécessaire, moins de quatre mois. Je ne suis pas en faveur d’une telle mesure mais il faut l’envisager.»

Pour Maurice Cusson, diminuer les peines à purger parce que les prisons sont pleines constitue une aberration. «Il ne s’agit pas d’un système d’hôtellerie où l’on dit aux clients: “S’il y a de la place, tant mieux; sinon, tant pis.”» Il rappelle que le petit Alexandre Livernoche, à Sorel, a été assassiné par un prisonnier qu’on avait libéré de façon temporaire. À son avis, les prisonniers doivent purger leur peine du premier au dernier jour. Et s’il manque de prisons, il faut en construire d’autres.

Pour M. Dupuis, une chose est certaine: il faut investir plus d’argent dans la recherche de solutions à l’emprisonnement. «Le gouvernement a fermé les prisons avant de chercher des solutions de rechange.»

Mais un participant au débat, chargé de cours à l’École de criminologie, François Bérard, a rappelé que la fermeture des prisons avait été amorcée avant l’arrivée au pouvoir des péquistes, précisément alors que Robert Bourassa était premier ministre. M. Dupuis était alors… son chef de cabinet.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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