Édition du 5 novembre 2001 / Volume 36, numéro 10
 
  Des vétérinaires dans la rue
Chaque mois, une équipe se rend Chez Pops pour soigner chiens et chats.

Sous la supervision de la Dre Patricia Lanoie-Brien (à gauche), une vingtaine de patients à fourrure sont examinés du museau à la queue, chaque mois, chez Pops. Ici, Youk-youk, le chien de Valérie.

Annie a deux anneaux dans les lèvres et une dizaine de boucles de métal percent ses lobes d’oreilles. Ce 26 septembre au soir, ce n’est pas pour manger ou pour trouver un peu de réconfort que la blondinette au manteau de cuir ceinturé de rivets est accueillie au centre de jour pour itinérants Chez Pops, dans l’est de Montréal. C’est pour rencontrer un vétérinaire. «Darkness m’inquiète, dit-elle. Je crois qu’elle est enceinte.»

Depuis un an, un groupe de cinq étudiants en médecine vétérinaire, aidés de trois professeurs et de quelques étudiants en techniques de santé animale du Collège de Saint-Hyacinthe, se présentent Chez Pops pour soigner les bêtes qui accompagnent les jeunes dans la rue. «Nous partons en minibus et la soirée y passe», signale la Dre Diane Blais, vice-doyenne aux affaires étudiantes à la Faculté et bénévole pour cette activité inusitée. Avec son mari, John Fairbrother, et le vice-doyen aux études André Dallaire, la Dre Blais est parmi les initiateurs de la clinique, qui compte 110 dossiers actifs. Les patients? Surtout des chiens «bâtards» (quoique les pitt-bulls et les rottweilers soient très appréciés) mais aussi des chats et, plus sporadiquement, des animaux exotiques: rats, furets et même une tortue.

Deux étudiantes de la Faculté de médecine vétérinaire souhaitent la bienvenue à Annie et auscultent la chienne, un pitt-bull de cinq ans plutôt… menaçant. «Difficile de dire si elle est enceinte parce que ce serait très récent, commente une des apprenties vétérinaires en tâtant l’abdomen de la chienne. Mais on va quand même lui faire un examen.»

En une demi-heure, la bête est examinée du museau à la queue. Ce patient est en bonne santé, malgré quelques cicatrices qui témoignent d’une rixe avec un autre chien. Le reporter s’approche de la table d’examen.

— Les pitt-bulls, ça ne vous fait pas peur?

— Ben non, répond la jeune fille qui cache mal son amusement. Les chiens qui viennent ici sont super bien élevés.

Emett Jones confirme. «Plusieurs jeunes de la rue prennent davantage soin de leurs chiens que d’eux-mêmes et ce sont des bêtes bien domptées. Les cas de mauvais traitements sont très rares», dit-il à Forum. Plus cocasse encore, si un de ses bénévoles veut offrir un hot dog à un chien (à partir de sa roulotte, Le Bon Dieu dans la rue distribue quelque 110 000 hot dogs par année à des sans-abri), il vaut mieux obtenir la permission de son maître. Plusieurs trouvent que les saucisses, ce n’est pas bon pour la santé de pitou!

Pas de concurrence déloyale

La dernière fois que Darkness s’est présentée à la clinique, elle a reçu une première dose de vaccin contre la rage. Les bénévoles ont aussi conseillé à Annie de faire stériliser sa chienne. Malheureusement, à cause du prix (plus de 100 $), elle n’a pas donné suite au conseil. «Nous suggérons la stérilisation des animaux, mais nous ne pouvons pas l’exiger», dit la Dre Blais.

Pour ne pas créer de concurrence déloyale envers les vétérinaires professionnels des environs, les services offerts à la clinique mensuelle de Chez Pops sont rudimentaires. Pas de stérilisation, pas d’opération exigeant une anesthésie générale. Mais pour les étudiants, qui sont nombreux à se porter volontaires pour cette clinique, c’est une expérience riche en apprentissage. Ils sont d’ailleurs crédités pour leur participation à cette activité, considérée comme un stage.

Le Dr Laurent Blond, un étudiant à la maîtrise au Département d’études cliniques, est là pour assurer les interventions plus délicates, mais l’essentiel du travail des étudiants et de leurs professeurs est d’ordre préventif. «Après un examen général, nous administrons au besoin des vaccins, des vermifuges, des traitements contre les puces, signale la Dre Patricia Lanoie-Brien, qui coordonne les activités avec le Dr Blond. Devant des cas plus lourds, comme les fractures, nous adressons les animaux à des cabinets privés.»

C’est déjà beaucoup, affirme le père Jones, qui a longtemps été réduit à l’impuissance quand il voyait les jeunes souffrir à cause de leurs animaux. Cette clinique témoigne de la bonne volonté de gens qui acceptent d’aller rencontrer les jeunes dans leur milieu. D’autres cliniques sont organisées autour des soins infirmiers, de la médecine dentaire et de la prévention des toxicomanies.

Protégée par son chien

À sa première visite Chez Pops, on est surpris de constater à quel point les jeunes de la rue aiment les animaux domestiques. Sur les 125 à 200 jeunes qui fréquentent le centre de jour, la moitié ont des animaux de compagnie. Ceux-ci leur rendent bien l’affection reçue. Des jeunes femmes ont vu leur chien se porter à leur défense alors qu’elles étaient agressées, et d’autres trouvent à leur côté une chaleur salutaire lorsqu’il faut dormir dehors.

Ce 26 septembre, c’est une soirée fort occupée pour la clinique. Dix-neuf animaux sont attendus et, à la surprise générale, leurs maîtres sont tous au rendez-vous. Devant l’affluence, Forum est mobilisé pour préparer des vaccins sous la supervision de Luc Vermette, responsable des laboratoires d’enseignement à la Faculté et bénévole chargé du transport du matériel. La compagnie Pfizer offre, depuis janvier 2000, les médicaments et le matériel médical nécessaires à la clinique. De plus, la société Sys-Vet a fait don d’un ordinateur portatif avec un logiciel de gestion des dossiers.

En cette soirée d’automne, peu de «gros cas» mais beaucoup de soulagement pour les jeunes clients: Valérie et son chien Youk-Youk, Shani et ses deux molosses, John et Pepsi…

Mathieu-Robert Sauvé



 
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