Édition du 12 novembre 2001 / Volume 36, numéro 11
 
  Intrigant comme la lune
Pourquoi la lune est-elle plus grosse à l’horizon? Le phénomène relève de la neuropsychologie de la perception et demeure mystérieux.

La réfraction de la lumière dans l’atmosphère n’explique pas la dimension apparente de la lune à l’horizon, explique Robert Lamontagne.

Tout le monde a déjà remarqué comment la lune paraît immense lorsqu’elle se lève ou se couche à l’horizon. Même chose avec le soleil lorsqu’on peut l’observer à travers les nuages.

Le phénomène semble intriguer les hommes depuis la nuit des temps; des textes grecs et chinois datant du septième siècle avant notre ère en font état. Aristote, Ptolémée, Léonard de Vinci, Descartes ont tenté de l’expliquer et des revues scientifiques publient encore aujourd’hui des articles sur le sujet. «C’est la question qu’on me pose le plus souvent dans le cours d’introduction à l’astronomie», affirme Robert Lamontagne, professeur au Département de physique.

La première explication qui vient à l’esprit est l’effet de réfraction de la lumière dans l’atmosphère. Ce phénomène peut facilement s’observer en plongeant un crayon dans un verre d’eau: la partie immergée apparaît plus grosse. «La réfraction n’est pas en cause, rétorque le professeur. Si vous prenez des photos de la lune à l’horizon et au zénith, vous verrez que le satellite a la même dimension.»

Le seul effet de réfraction observable est un léger aplatissement de l’astre sur son axe vertical, plus facile à remarquer dans le cas du soleil.

«L’apparente grosseur de la lune à l’horizon est plutôt un phénomène subjectif lié à nos mécanismes de perception», soutient Robert Lamontagne.

 

Un exemple de l’effet Ponzo: la ligne du haut paraît plus longue que celle du bas à cause de la perspective. Mais comment établir un tel effet avec une seule lune?

Outre la prise de photos, quelques petits exercices simples peuvent nous en convaincre: regarder la lune par le bout d’un tube ou par une ouverture dans un carton, ou encore l’observer tête en bas fait disparaître l’impression. De plus, les enfants seraient plus sensibles à l’illusion alors que certains adultes ne la perçoivent pas, ce qui montrerait que l’effet est modifié par notre expérience personnelle.

Effet de perspective

Selon Robert Lamontagne, l’explication repose sur l’effet combiné de deux facteurs: l’effet de profondeur créé par l’horizon et l’incapacité de notre cerveau à évaluer correctement les distances.

«Notre cerveau ne perçoit pas la voûte céleste comme une sphère mais comme une courbe aplatie au zénith. De ce fait, les objets à l’horizon paraissent plus éloignés que ceux au-dessus de nous. Mais le cerveau est incapable d’évaluer correctement les distances au-delà de quelques centaines de mètres. Pour y parvenir, il doit comparer la taille des objets éloignés avec la taille réelle connue de ces objets.»

Notre cerveau serait ainsi porté à grossir la lune à l’horizon parce qu’elle paraît très éloignée alors que sa taille demeure la même que lorsqu’elle se trouve au zénith. Ce type d’illusion est connu sous le nom d’effet Ponzo (voir la figure). Mais pour invoquer l’effet Ponzo il doit y avoir deux objets de même dimension afin que la comparaison puisse s’opérer. Toutes les études qui ont recouru à ce type d’explication ont utilisé des modèles à deux lunes alors que nous n’en avons qu’une seule devant nos yeux et que la mémoire à long terme ne semble pas entrer en ligne de compte.

Par ailleurs, l’illusion persiste même sans aucune ligne d’horizon, comme sur la mer par temps de brouillard. L’angle de la vision, que certaines hypothèses ont avancé comme facteur explicatif, n’est pas en cause puisque l’effet est aussi observable des avions; la couleur de l’astre, liée à la densité de l’atmosphère, n’y change rien non plus.

Avantage adaptatif?

De nombreuses autres explications ont été proposées, mais aucune ne semble rendre compte de l’ensemble du phénomène. L’une des hypothèses associées à nos mécanismes de perception, avancée par le professeur Arnold Trehub du MIT, fait appel à la sélection naturelle; pour des raisons de survie, nos mécanismes cognitifs accorderaient plus d’importance aux objets de notre entourage, c’est-à-dire situés sur un plan horizontal, alors que notre cerveau posséderait moins de moyens pour évaluer les objets se trouvant au-dessus de nous ou dans le ciel. L’apparente dimension de la lune à l’horizon serait liée aux sensations plus vives qu’elle stimule.

Et si la lune au zénith n’apparaît pas plus grosse lorsqu’on la regarde étendu, c’est que notre cerveau sait, grâce au vestibule de l’oreille interne, dans quel axe se trouve la tête et qu’il n’interprète pas ce qu’il voit comme étant à l’horizontale. Cela expliquerait, du même coup, pourquoi l’illusion disparaît si l’on regarde la lune la tête en bas.

Mais cette hypothèse donnerait à penser que c’est la lune du zénith qui devrait être perçue comme plus petite que la réalité alors que les photos montrent que c’est celle à l’horizon qui nous semble disproportionnée.

En dernière analyse, Robert Lamontagne reconnaît, comme la plupart des spécialistes de diverses disciplines qui se sont penchés sur la question, qu’aucune explication n’est pour l’instant entièrement convaincante ou satisfaisante. L’illusion de la lune demeure mystérieuse et c’est peut-être ce qui fait son charme.

(Pour en savoir plus: The Moon Illusion, www.lhup.edu/~dsimanek/3d/moonillu.htm.)

Daniel Baril



 
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