Édition du 12 novembre 2001 / Volume 36, numéro 11
 
  Le neurone réinventé
Le modèle du fonctionnement de la cellule nerveuse pourrait être remis en question.

Arlette Kolta devant un microscope d’électrophysiologie. Son laboratoire a effectué une percée dans la compréhension du fonctionnement des neurones sensoriels.

Au cours d’une action intense, le corps perd en partie sa capacité de ressentir la douleur. Ainsi, un joueur de hockey qui se tord la cheville pendant un match ne constatera bien souvent sa blessure qu’à son retour au banc. «C’est comme si le cerveau était incapable de gérer à la fois les signaux moteurs et ceux qui proviennent des voies sensorielles», dit Arlette Kolta, chercheuse au Département de stomatologie à la Faculté de médecine dentaire et directrice du Laboratoire de neurophysiologie et de neuroanatomie du système trigéminal.

Son intérêt pour les interactions entre les circuits moteurs et les voies sensorielles, dont celles présentes dans la douleur, l’a amenée à étudier ce phénomène jusque dans l’élément le plus fondamental du système nerveux: le neurone. «Nous en avons environ 100 milliards dans la tête, autant qu’il y a d’étoiles dans notre galaxie», signale Mme Kolta. Les résultats d’une récente recherche qu’elle a menée en collaboration avec James Lund, chercheur au Centre de recherche en sciences neurologiques à la Faculté de médecine, et Dorly Verdier, étudiante au troisième cycle au Département de physiologie, pourraient conduire à une redéfinition du modèle du fonctionnement de la cellule nerveuse.

«Nous avons démontré que le signal électrique émis par l’axone des afférences primaires [neurones sensoriels] du système trigéminal, une région du cerveau située dans le tronc cérébral, peut être interrompu en cours de route. Si cela s’avère généralisable à d’autres neurones du cerveau, c’est tout le modèle du fonctionnement de la cellule nerveuse qui devra être remis en question», allègue Arlette Kolta.

Tout est dans le «si», car la prudence est encore de rigueur. Mais la découverte ébranle déjà deux concepts de base sur lesquels sont fondées les sciences neurologiques. L’article soumis à la revue Nature fait présentement l’objet d’une évaluation par un comité scientifique.

Un neurone, deux fonctions?

Chaque neurone est doté d’un prolongement cellulaire nommé «axone», une sorte de fil électrique qui permet de transmettre l’information aux autres neurones ou aux muscles. En principe, le neurone se termine par des boutons terminaux. Dès que ceux-ci reçoivent un message de l’axone, ils libèrent une substance chimique (neurotransmetteur) qui migre dans une zone appelée «synapse», l’aire de jonction entre les neurones. Une fois rendu dans la synapse, le neurotransmetteur transmet des commandes aux autres cellules nerveuses du corps par les dendrites: un même neurone peut en compter des milliers.

«Le neurone que nous avons étudié a une morphologie particulière, souligne Arlette Kolta. Il ne possède pas de dendrites et son axone est divisé en deux parties. Une branche va vers les structures périphériques à innerver, notamment la peau et les muscles. L’autre est située à l’intérieur du cerveau et transmet l’information aux circuits moteurs et aux voies sensorielles.»

Mais comment ces neurones communiquent-ils entre eux? «Leurs branches périphériques leur servent en quelque sorte de dendrites, répond Mme Kolta. Comme tous les neurones, ils communiquent grâce à un influx nerveux qui se présente sous la forme d’une impulsion électrique appelée “potentiel d’action”. On a toujours pensé qu’une fois l’impulsion électrique engagée dans l’axone aucune action ne pouvait empêcher la propagation du signal jusqu’aux terminaisons.»

L’étude de Mme Kolta montre que ce n’est pas toujours le cas. Non seulement le signal électrique peut être arrêté, mais il est aussi bidirectionnel. Le mécanisme responsable de cet arrêt du signal permet ainsi de diviser l’axone en deux parties indépendantes l’une de l’autre. Cela signifie que le neurone est capable de communiquer deux messages à la fois: par exemple la sensation et la programmation des mouvements. «Mais dans ce cas, le contrôle est exercé par un circuit moteur, précise Arlette Kolta. Or, la partie du neurone affectée à la sensation sert aussi aux mouvements, ce qui expliquerait pourquoi notre joueur de hockey ne ressent la douleur qu’une fois au repos.»

In vitro

En injectant un traceur fluorescent dans les muscles de la mâchoire de rats, Mme Kolta a réussi à localiser le neurone logé dans le système trigéminal. Elle a ensuite prélevé des tranches du tronc cérébral contenant le neurone et les a disposées dans un liquide cérébrospinal artificiel qui maintient les cellules en vie. Pour capter l’activité nerveuse du neurone, la chercheuse a utilisé une technologie de pointe. Il s’agit d’une minuscule électrode reliée à un amplificateur et à un ordinateur capable de saisir le signal électrique et de l’enregistrer.

«Cette méthode dite in vitro permet d’étudier le fonctionnement intracellulaire», résume Mme Kolta. L’ensemble des données recueillies a permis à la chercheuse de la Faculté de médecine dentaire de tirer des conclusions quant au fonctionnement des neurones sensoriels du système trigéminal. Elle compte poursuivre l’étude dans différents endroits du cerveau pour déterminer si le même principe s’applique à d’autres types de cellules nerveuses.

Et la dentisterie dans tout ça? «Le système trigéminal innerve la région faciale et péribuccale, explique Arlette Kolta. De nombreuses dysfonctions et maladies du système nerveux, dont la névralgie du nerf trijumeau, sont liées à cette zone cérébrale.»

Dominique Nancy



 
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