Édition du 19 novembre 2001 / Volume 36, numéro 12
 
  Attention! Chutes de gens âgés
Marie-Jeanne Kergoat a présidé le symposium sur les chutes des aînés.

Chaque année, 1,2 million de Canadiens de 65 ans et plus tombent dans leur escalier ou leur cuisine. Certains en meurent: 50 % des personnes de plus de 75 ans qui subissent une fracture de la hanche décèdent dans l’année qui suit la chute.

«Cela constitue un grave problème, car le nombre d’aînés au sein de la population croît et la proportion des gens très âgés, soit les 80 ans et plus, est elle aussi en progression. Dans ce groupe d’âge, plus de 80 % des admissions à l’hôpital pour traumatisme physique sont attribuables aux blessures occasionnées par des chutes», a souligné Marie-Jeanne Kergoat à l’issue du Symposium sur les chutes des personnes âgées, qui s’est déroulé le 12 octobre dernier.

Médecin à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal depuis 1982 et professeure à la Faculté de médecine, la Dre Kergoat était présidente du comité scientifique et organisateur de ce symposium, qui a réuni quelque 350 ergothérapeutes, infirmières, médecins, pharmaciennes, physiothérapeutes, techniciens en réadaptation et gestionnaires de clinique de la province. Spécialiste des soins de santé pour les personnes âgées, la gériatre estime que des efforts soutenus doivent être déployés afin de coordonner le travail des différents intervenants au moment de la prise en charge d’un patient hospitalisé à la suite d’une chute.

«Il s’agit d’un problème de santé publique qui nécessite la mise sur pied d’équipes multidisciplinaires, dit-elle. La problématique des chutes est bien documentée, mais le dépistage des facteurs de risque n’est pas systématiquement fait auprès des individus vulnérables et les interventions efficaces après la chute restent encore méconnues.»

Plus de 103 facteurs de risque

Marie-Jeanne Kergoat a mené une étude à l’échelle du Québec auprès de professionnels en gériatrie afin de cerner les éléments clés d’une bonne intervention. Seuls les éléments retenus par 90 % des cliniciens ont fait l’objet d’un classement. Au total, 240 interventions ont été jugées cruciales, dont l’investigation sur l’histoire de la chute, l’examen physique centré sur les systèmes musculo-squelettique, cardiaque et neurologique et l’évaluation du rendement fonctionnel et de l’environnement de vie.

«Avec l’âge, les changements dans la coordination, la perception sensorielle, la force physique, l’équilibre et le temps de réaction peuvent contribuer à une chute», souligne la Dre Marie-Jeanne Kergoat. Les activités comme la marche, la natation, le yoga et le taï chi peuvent aider à prévenir les chutes chez les aînés.

«Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine des chutes: une mobilité restreinte, une déficience cognitive, un problème de vision, une maladie chronique... Plus de 103 facteurs de risque ont été désignés. Certains médicaments, notamment ceux qui agissent sur le système nerveux central et sur le système cardiovasculaire, sont susceptibles de causer une chute en provoquant de la somnolence, une confusion ou une diminution du débit sanguin cérébral», signale la gériatre.

Pendant longtemps, la seule façon de savoir si une personne risquait de tomber, c’était de lui demander si elle avait déjà chuté. «Aujourd’hui, on sait qu’un individu court 60 % de risques de faire une chute dans l’année s’il prend plus de quatre médicaments et éprouve une faiblesse dans les membres inférieurs et un trouble d’équilibre.»

Les aînés consomment-ils trop de médicaments? Peut-être, répond la Dre Kergoat. «Mais lequel doit-on supprimer?» Plusieurs scientifiques montrent du doigt les psychotropes, ces substances qui agissent chimiquement sur le psychisme et que les médecins prescriraient avec trop de désinvolture. Mais le débat est loin d’être clos. Et les chutes continuent d’être la cause de nombreux décès dans cette classe d’âge. Un phénomène qui coûte par ailleurs horriblement cher à la société. Jusqu’à 3,6 milliards de dollars par année, selon l’Institut canadien d’information sur la santé.

La Dre Kergoat analyse la situation avec réalisme. Même si elle qualifie le symposium de «grand succès», elle conçoit qu’on n’enraiera pas le problème du jour au lendemain. «Dans un contexte social caractérisé par le vieillissement de la population, où des enjeux socioéconomiques sont associés aux coûts en soins de santé et à la qualité de vie des gens, il faut travailler de front sur les plans de la prévention et de l’intervention.»

Des vieux en forme

La majorité des chutes surviennent au domicile, au cours d’activités quotidiennes, et sont fréquemment liées à l’aménagement de la maison. «On trébuche sur les bords d’un tapis, on glisse dans la baignoire ou sur le parquet, on perd l’équilibre dans les escaliers et l’on n’a pas de rampes pour se rattraper.» De toutes les blessures déclarées par les personnes âgées, l’environnement physique est responsable de près de 40 % des chutes. Le fait de tomber n’est donc pas seulement lié à l’état de santé, à la vision ou à l’équilibre. «Mais dans la majorité des cas, les blessures des aînés sont dues à de tels facteurs, précise la Dre Kergoat. Avec l’âge, les changements dans la coordination, la perception sensorielle, la force physique, l’équilibre et le temps de réaction peuvent contribuer à une chute. De plus, les personnes âgées ont parfois du mal à se relever et des complications potentiellement graves doivent être envisagées si le séjour au sol se prolonge au-delà de 20 minutes.»

Pour les gens âgés, la peur de tomber est une source majeure d’anxiété. Après une chute, les blessures, qui conduisent souvent à une perte d’autonomie, peuvent compliquer la situation. De plus, la chute entraîne chez la personne âgée une prise de conscience brutale de sa vulnérabilité et de sa dépendance.

«Plusieurs évitent donc de sortir et s’isolent du monde extérieur. C’est un cercle vicieux, car moins ils bougent plus leurs habiletés fonctionnelles se détériorent, leurs os sont fragiles et les chutes traumatisantes. Le retrait social risque aussi d’avoir un impact psychologique», observe la Dre Kergoat. À son avis, les activités comme la marche, la natation, le yoga et le taï chi peuvent aider à prévenir les chutes chez les aînés. L’exercice physique, qui permet d’augmenter la résistance musculaire et la souplesse, peut également réduire la gravité des blessures.

«Dans la prévention des chutes, les interventions les plus efficaces sont celles qui considèrent la chute sous un mode multidimensionnel, où sont intégrées des actions qui visent simultanément l’amélioration de l’état de santé, la rationalisation des médicaments, la pratique d’exercices d’équilibre et de renforcement musculaire et l’adaptation de l’environnement selon les capacités et habitudes des individus», conclut Marie-Jeanne Kergoat.

Dominique Nancy



 
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