Édition du 26 novembre 2001 / Volume 36, numéro 13
 
  Des Européennes détenues à Kingston pendant la guerre
Andrée Laprise a consacré son mémoire de maîtrise en histoire aux prisonnières de guerre.

Parce qu’elles étaient communistes, fascistes, activistes, qu’elles ont été victimes de délation ou simplement à cause de leur origine, 20 femmes ont été écrouées dans une aile de la prison de Kingston de 1939 à 1943. Andrée Laprise en a fait le sujet de son mémoire de maîtrise, un document d’une centaine de pages, déposé cette année au Département d’histoire.

Bachelière en sciences politiques et en relations internationales de l’Université de Montréal, Mme Laprise travaille depuis une quinzaine d’années dans le domaine de l’édition. Lorsqu’elle était éditrice déléguée aux Éditions du Septentrion, elle a fait la connaissance d’Yves Bernard et de Caroline Bergeron, auteurs de l’ouvrage Trop loin de Berlin. Il traitait des prisonniers de guerre allemands incarcérés au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Un passage du livre mentionnait que des femmes avaient aussi été emprisonnées au pays. Ce volet a piqué la curiosité de l’éditrice.

C’est aux Archives nationales du Canada, à Ottawa, qu’Andrée Laprise a effectué une grande partie de ses recherches. Le Fonds du solliciteur général du Canada lui a permis d’obtenir des renseignements sur la plupart des dossiers des femmes écrouées.

Réglementation et contexte

Mme Laprise raconte que la Gendarmerie royale du Canada a commencé à infiltrer les groupes de communistes italiens et allemands au pays en 1937-1938. «Quand la guerre a éclaté, la table était mise», résume-t-elle.

Le Canada a adopté la Loi sur les mesures de guerre le 1er septembre 1939, avant de déclarer la guerre à l’Allemagne neuf jours plus tard. En juin 1940, quand le leader italien Benito Mussolini fait front commun avec Adolf Hitler, le Canada déclare aussi la guerre à l’Italie. Pour le traitement des prisonniers, c’est la Convention internationale de Genève qui prévaut. Le Canada l’a signée en 1929 et la ratifie en 1933. L’accord stipule que les États doivent réserver le même traitement aux détenus civils étrangers qu’aux prisonniers de guerre.

De 1939 à 1943, les prisonniers de guerre sont incarcérés à Petawawa, en Ontario, et au camp de Kananaskis, en Alberta. Des Italiens, arrêtés en 1940, sont emprisonnés à l’île Sainte-Hélène, à Montréal. Puis, en 1942, un groupe de prisonniers, au sein duquel on retrouve notamment le maire de Montréal de l’époque, Camilien Houde, est transféré à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, tandis que les prisonniers de guerre allemands demeurent à Petawawa.

Profils de femmes

Quant aux femmes, qui sont dans la quarantaine pour la plupart, elles sont envoyées à la prison de Kingston. Elles sont placées dans une aile de l’établissement, à l’écart des prisonnières de droit commun.

La première femme à être emprisonnée à Kingston, Katharine Haidinger, est une riche Allemande de 30 ans. En 1939, elle émigre aux États-Unis, où on l’accuse de prostitution; elle prend donc la fuite au Canada sous un faux nom. Soupçonnée d’espionnage, Mme Haidinger est incarcérée à Toronto lorsque le Canada entre en guerre. Ottawa est disposé à la libérer si un autre pays veut l’accueillir. Mais aucun État n’accepte sa demande d’asile. «Elle a donc été écrouée à Kingston parce qu’elle était allemande», souligne Andrée Laprise.

Bertha Hower est autrichienne d’origine et propriétaire d’un restaurant en Colombie-Britannique. Elle vit avec un homme sans être mariée, ce qui fait scandale à l’époque. Elle est arrêtée pour avoir tenu des propos séditieux.

Dès la fin de 1940, Kingston compte déjà 14 détenues. Parmi celles-ci, on compte 3 infirmières, dénoncées pour leurs propos à leur arrivée au Canada, en novembre 1940, sur un bateau de leur pays d’origine, la Belgique. Elles sont renvoyées au Congo belge deux ans plus tard.

On décide aussi un jour de renvoyer six activistes allemandes dans leur pays en échange du retour de six Canadiennes coincées à Berlin.

Vivre quatre ans dans un espace restreint engendre des problèmes psychologiques et de promiscuité. De leur cellule, les détenues ont peu d’accès à la lumière du jour et n’ont droit qu’à une heure quotidienne de promenade à l’extérieur. «Elles vivaient vraiment en vase clos. Le seul avantage qu’elles avaient sur les prisonnières de droit commun était de pouvoir laisser leur porte de cellule ouverte. Les hommes avaient plus de liberté puisqu’ils pouvaient travailler, suivre des cours ou encore voir des films.»

Les femmes sont occupées au tricot, à la broderie et à la couture. En novembre 1941, le directeur du pénitencier de Kingston décide de les faire travailler à la buanderie avec les prisonnières de droit commun.

Femmes de caractère

Comment se fait-il que ce volet de la Deuxième Guerre n’ait pas été rapporté? Andrée Laprise met en relief la vision de la femme véhiculée à l’époque. «On ne pensait pas qu’une femme pouvait vouloir poursuivre le travail de son mari. Une des femmes dont j’ai lu le dossier précise que le cerveau du tandem, c’était elle, pas son mari. Elles étaient des femmes de caractère qui voulaient défendre leur point de vue», observe-t-elle, ajoutant que celles-ci n’étaient pas assez nombreuses pour constituer une masse critique.

«De plus, au Québec, les histoires de guerre ne suscitent pas beaucoup d’intérêt. On parle toujours de la crise de la conscription en 1942. En revanche, les Canadiens anglais s’intéressent beaucoup plus à la Deuxième Guerre mondiale. Je dirais que, pour 1 ouvrage francophone sur le sujet, 20 livres anglais sont publiés.»

Diplôme de maîtrise en poche, Andrée Laprise compte poursuivre son travail d’édition puisqu’elle a ouvert sa propre maison, Athéna Éditions, spécialisée en sciences sociales. «J’aime faire des livres et travailler avec des auteurs. Avec la maîtrise en histoire, je possède une sécurité et une reconnaissance puisque j’ai effectué le travail d’un historien professionnel.»

Toutes les femmes auxquelles Andrée Laprise s’est intéressée sont aujourd’hui décédées. «J’aurais aimé savoir comment elles ont survécu psychologiquement et comment elles s’en sont sorties. Souvent, elles n’avaient rien fait. Elles étaient seulement allemandes ou italiennes.»


Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale



 
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