Édition du 26 novembre 2001 / Volume 36, numéro 13
 
  Le Canadien fou qui fouillait le vide
Claude Chapdelaine fait émerger du sable la capitale disparue des Mochicas.

Claude Chapdelaine nous présente une reproduction d’un «vase portrait» typique des Mochicas. Ces bouteilles à anse en étrier servaient, croit-on, de vases rituels.

Un archéologue entreprend habituellement des fouilles à la verticale, c’est-à-dire en creusant un puits. Claude Chapdelaine, professeur au Département d’anthropologie, en a étonné plusieurs en fouillant à l’horizontale le site des Mochicas, au Pérou. L’audacieuse initiative a porté ses fruits puisqu’il a ainsi mis au jour les vestiges d’une cité disparue à un endroit qu’on croyait n’être qu’un lieu de pèlerinage.

Ses découvertes comptent parmi les pièces maîtresses de l’exposition qui se déroule actuellement au Musée d’archéologie et d’histoire de la Pointe-à-Callière, Mystère des Mochicas du Pérou, et dont il est le conseiller scientifique.

La civilisation mochicas (ou moche [motché]) a prospéré dans une dizaine de vallées de la côte nord du Pérou entre le deuxième et le septième siècle de notre ère. Cinq cents ans la séparent de la civilisation inca, qui, par comparaison, a duré moins de 150 ans. Le principal lieu de fouilles est situé près de Trujillo, la troisième ville en importance du pays. C’est là que Claude Chapdelaine s’est installé avec ses truelles et tamis en 1995.

Sous la plage, le pavé

Là où des vestiges d’habitation émergeaient du sable, l’archéologue a entrepris de fouiller le site en suivant, à l’horizontale, les murs extérieurs des maisons afin de comprendre l’organisation du réseau urbain. De ce fait, il se trouvait à déblayer la rue.

«Une rue est par définition un espace vide, souligne-t-il. Si les gens n’y ont rien laissé, on ne trouve rien. Après deux ans, j’avais dégagé 100 m de vide. J’étais devenu, aux yeux des autres, l’archéologue canadien fou qui fouille le vide!»

Mais ce déblayage de rues a ainsi permis de découvrir que le site ne cachait pas qu’un simple hameau destiné au culte, comme le laissaient croire les restes de temples, mais qu’il y avait là une cité présentant toutes les caractéristiques d’une capitale étatique avec ses activités économiques, religieuses et administratives.

Les travaux de Claude Chapdelaine ont mis à jour des maisons beaucoup plus grandes et complexes que ce à quoi on s’attendait ainsi que trois places publiques semi-fermées. Les maisons sont dotées de plusieurs petites pièces trop exiguës pour être des chambres et qui, à son avis, sont des lieux d’entreposage. Qui dit entreposage dit surplus de production et gestion de la production, soit des activités administratives propres aux sociétés étatiques naissantes et qu’on ne retrouve pas dans les sociétés tribales.

Comme il n’y a pas de traces de production agricole autour de ces vastes maisons, elles devaient être la propriété de grandes familles formant une élite, c’est-à-dire une oligarchie de riches propriétaires regroupés autour d’un roi.

L’interprétation de Claude Chapdelaine ne fait pas l’unanimité chez les archéologues, mais ses travaux ont complètement changé l’image qu’on avait du site de Trujillo et de la société mochicas.

Tombeau de la femme inconnue

L’archéologue a également entrepris des fouilles à la verticale en profitant de l’absence des propriétaires pour percer des trous dans leurs cours. «Des indices montraient que l’une des places publiques avait déjà été creusée», relate-t-il.

Sous ces 22 vases d’offrande, les restes d’une femme de la classe dirigeante, peut-être associée à des rituels sexuels.

En forant à son tour, il a fait une découverte fabuleuse: un tombeau renfermant les restes d’une femme enterrée avec 22 vases et des objets de cuivre, dont un couteau de sacrifice. «Sûrement une femme de la classe dirigeante puisque seule une femme de haut rang aurait pu être inhumée dans un tel lieu avec de pareils objets.»

Certains vases l’associent également à l’élite. L’un d’entre eux représente un «prêtre messager» portant sur la tête un disque solaire, figure qu’on ne retrouve que dans les tombeaux d’hommes dirigeants. Un autre illustre une scène de copulation rituelle, suggérant que la défunte pouvait être liée à de tels rites .

Même si plusieurs éléments qui entourent cette civilisation demeurent inconnus, Claude Chapdelaine ne partage pas l’hypothèse voulant qu’elle ait disparue subitement, entre l’an 550 et l’an 600, à la suite de changements climatiques causés par El Niño. Seul archéologue du coin à dater ses trouvailles au carbone 14, il qualifie cette hypothèse de «sensationnaliste».

«Les Mochicas étaient encore là après l’an 700 et ils n’avaient pas changé leur style de vie ni leurs modes de production et de construction, affirme-t-il. S’il y a stabilité dans le mode de production, c’est qu’il y a stabilité du pouvoir et rien n’indique une disparition subite. Des traces de cette culture subsistent dans d’autres sites plus récents.»

En disparaissant, les Mochicas n’ont pas laissé que du vide. Quelque 200 000 artéfacts, pièces d’artisanat, objets de culte et autres ont déjà été extraits du sable péruvien. Le musée de la Pointe-à-Callière en a rassemblé 140 parmi les mieux conservés, en plus de présenter une reconstitution du tombeau découvert par Claude Chapdelaine, ce qui en fait la plus importante exposition jamais tenue sur la culture mochicas.

Daniel Baril 



 
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