Édition du 3 décembre 2001 / Volume 36, numéro 14
 
  Voir avec un hémisphère en moins
Certains centres sous-corticaux du système visuel demeurent actifs malgré une hémisphérectomie.

Hugo Théoret explique les fonctions du corps genouillé et du colliculus, deux noyaux du système visuel primaire.

Le cerveau humain a une incroyable plasticité. Des patients à qui l’on a retiré l’un des deux hémisphères cérébraux réussissent à rétablir suffisamment de fonctions intellectuelles et motrices pour mener une vie «presque» normale.

Mais comment s’opère cette récupération et qu’advient-il de l’information normalement acheminée à l’hémisphère disparu? Hugo Théoret a cherché à faire avancer nos connaissances sur ce type de mystère en consacrant son doctorat à l’étude du mécanisme visuel chez les hémisphérectomisés.

L’hémisphérectomie est pratiquée à la suite de certains accidents cérébraux ou dans les cas d’épilepsie sévère impossibles à traiter par médication. Cette intervention radicale fait disparaître les symptômes de l’épilepsie tout en permettant le maintien d’une bonne qualité de vie.

«Plus l’opération est pratiquée en bas âge, plus la récupération sera complète, précise Hugo Théoret. Certains patients peuvent souffrir de déficits d’apprentissage, de motricité, de langage ou de vision, mais ces problèmes sont moins sévères qu’avant la lésion et certaines personnes conservent un quotient intellectuel près de la normale.»

Vision résiduelle

Des études montrent, notamment chez les primates, que l’œil associé à l’hémisphère lésé conserve une vision résiduelle et demeure sensible à certains stimulus. Ceci fait l’objet d’une polémique puisqu’en principe le cortex cérébral qui normalement traiterait cette information a disparu. C’est précisément ce que Hugo Théoret a voulu clarifier dans ses travaux dirigés par le professeur Maurice Ptito, du Département de psychologie et de l’École d’optométrie.

Ce schéma du système visuel sous-cortical nous montre l’emplacement du corps genouillé entre les terminaisons du nerf optique et le cortex visuel primaire. Environ la moitié des axones de chaque nerf optique est dirigée vers l’hémisphère opposé à la hauteur du chiasma optique.

 

La démonstration de l’existence d’une vision résiduelle demeure complexe à établir puisque les champs visuels des yeux se superposent. De plus, malgré le croisement des réseaux nerveux du chiasma optique, les deux nerfs optiques envoient de l’information aux deux hémisphères. Le chercheur a donc utilisé des modèles animaux afin d’analyser l’état du système sous-cortical chez des macaques hémisphérectomisés.

Lorsqu’il y a ablation d’un hémisphère, seul le cortex est retiré, ce qui laisse intacts tous les noyaux sous-corticaux de l’hémisphère lésé. Parmi ces noyaux se trouve le corps genouillé, qui assure le relais entre les terminaisons du nerf optique et le cortex visuel primaire.

Les travaux de Hugo Théoret ont montré que la presque totalité des cellules du corps genouillé de l’hémisphère lésé dégénère à la suite de l’hémisphérectomie. La dégénérescence des cellules nerveuses se rend même jusqu’à la rétine. La vision résiduelle ne peut donc relever de ce noyau.

Son attention s’est alors portée sur le colliculus, un noyau sous-cortical associé à la détection du mouvement et possédant des projections latérales non dirigées vers le cortex. Malgré une dégénérescence neuronale de l’ordre de 30 %, ses analyses ont montré que l’activité cellulaire et les projections rétiniennes du colliculus se sont maintenues après la lésion.

«Le colliculus continue donc de recevoir un input malgré l’hémisphérectomie et pourrait sous-tendre la vision résiduelle, souligne le chercheur. Ceci nous indique que le cerveau fait preuve d’une épargne anatomique évidente en maintenant des fonctions même lorsque le cortex a disparu.»

Hugo Théoret demeure toutefois prudent et précise qu’il n’a pas démontré la subsistance d’une vision résiduelle. «Nous avons tout de même prouvé que le phénomène est possible», dit-il.

Ce travail de doctorat a valu à son auteur l’un des quatre prix d’excellence décernés par la Faculté des études supérieures pour souligner et récompenser les meilleures thèses. Hugo Théoret poursuit des recherches postdoctorales au Département d’anatomie de l’École de médecine de l’Université Harvard, où il étudie les fonctions du cerveau à l’aide d’un stimulateur magnétique provoquant des «lésions virtuelles» ou inhibitions momentanées de l’activité cérébrale.

Daniel Baril



 
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