Édition du 10 décembre 2001 / Volume 36, numéro 15
 
  Le parcours des Canadiens d'origine japonaise
L’arrivée des premiers Japonais au Canada remonte à plus de 120 ans.

Kuniko Kondo

Ils se sont d’abord établis en Colombie-Britannique, avant de se déplacer vers l’est du pays, dont Montréal. Ce n’est là qu’un des aspects qu’aborde Kuniko Kondo dans son mémoire de maîtrise déposé en janvier 2001 au Département de sociologie.

Née au Japon, Mme Kondo possède un intérêt certain pour les langues. Munie d’un diplôme en littérature anglaise obtenu dans son pays natal, elle débarque au Québec en 1989, désireuse d’apprendre le français. Après deux sessions de cours, elle décide de s’inscrire au mineur en études québécoises à l’Université de Montréal, avant d’entreprendre sa maîtrise en sociologie.

Trois générations

Kuniko Kondo estime qu’il faut tracer une ligne bien nette entre les Japonais arrivés au Canada avant 1941 et ceux qui s’y sont installés après 1960, dans la foulée de lois sur l’immigration plus ouvertes aux nouveaux arrivants. Elle distingue aussi trois générations de Japonais d’origine au pays.

La première lignée, tout en s’intégrant graduellement à la réalité canadienne, reste farouchement attachée à ses racines et vit concentrée en Colombie-Britannique. La deuxième, née au Canada, se déplace en plus grand nombre vers l’est du pays. Cette génération en vient à adopter une double identité, canadienne et japonaise. Elle garde vivante sa langue d’origine, apprend l’anglais, mais perd petit à petit l’usage de sa langue maternelle écrite. Enfin, la troisième tend vers une réappropriation, surtout symbolique, de son identité japonaise, signale Mme Kondo. Cette troisième génération ne parle presque plus la langue d’origine.

Industrieux et déterminés

C’est sur les première et deuxième générations que Kuniko Kondo a concentré son projet de recherche. Près de 70 % des Japonais qui vivent au pays sont des descendants directs des immigrants qui sont arrivés au Canada avant 1941.

On retrace les premiers travailleurs d’origine japonaise en 1877. Ils venaient au Canada surtout en raison de la proximité avec leur pays d’origine par l’océan Pacifique et parce que les occasions d’emploi y étaient nombreuses. Mais ils ne séjournaient en sol canadien que temporairement, en général pour une période de trois à cinq ans. Puis, progressivement, de plus en plus de Japonais ont décidé de s’établir au pays.

Employés comme bûcherons, pêcheurs ou ouvriers dans les scieries ou les mines de la Colombie-Britannique, le travail ne leur faisait pas peur, bien au contraire. Et leur ténacité portait ses fruits. «À la fin du 19e siècle, à Vancouver, les Japonais d’origine gagnaient cinq fois plus d’argent que s’ils avaient travaillé au Japon», observe Mme Kondo. Elle soutient que les autres travailleurs canadiens ont peu à peu pris ombrage de l’ardeur des Japonais. Ceux-ci ont été victimes de discrimination. «Après 1900, on a augmenté les règles d’entrée au Canada. Dès 1920, il était devenu très difficile de quitter le Japon pour le Canada.»

Les recherches de Mme Kondo l’ont notamment amenée à rencontrer des représentants des églises bouddhique japonaise, unie japonaise et catholique japonaise de Montréal afin de mieux comprendre les pérégrinations des premiers Japonais d’origine au pays. Bénévole au Centre culturel japonais, situé dans le quartier Villeray et propriété de la communauté japonaise de Montréal, Mme Kondo y a rencontré de nombreux aînés qui ont témoigné de leur cheminement.

Avant 1941, on comptait 23 149 Canadiens d’origine japonaise au pays, dont 9 sur 10 étaient établis en Colombie-Britannique. Le Québec n’en dénombrait que 48. Mme Kondo soutient que leur petit nombre au Québec tient à la langue française. La majorité des Japonais d’origine au Canada ont choisi d’apprendre l’anglais. La deuxième génération est surtout intégrée aux communautés anglophones de Toronto et de Vancouver. «L’Ontario et la Colombie-Britannique offrent de très bons services aux personnes âgées», remarque la chercheuse.

Et aujourd’hui?

S’appuyant sur les données de Statistique Canada de 1991, Mme Kondo recense 65 685 Canadiens d’origine japonaise au pays, dont 2680 au Québec et 2365 qui vivent à Montréal. «Ces chiffres n’ont pas beaucoup changé en 2001», souligne-t-elle. Par contre, les Japonais d’origine sont plus disséminés sur l’île de Montréal qu’ils ne l’étaient en 1961, alors qu’ils étaient plutôt regroupés au centre de la ville.

Contrairement à la communauté chinoise, la communauté japonaise ne compte pas de quartier attitré, pas plus à Montréal qu’ailleurs au Canada. Mme Kondo explique cette situation par les blessures du passé, soit la discrimination que la première génération de Canadiens d’origine japonaise a subie, alliée au traitement réservé aux membres de la deuxième génération pendant la Seconde Guerre mondiale.

Au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, plus de 22 000 Canadiens d’origine japonaise ont été retranchés dans des camps de travail, surtout situés en Colombie-Britannique. Plus de la moitié d’entre eux étaient nés au Canada. Ils ont perdu le droit de vote, leurs biens et leurs propriétés ont été confisqués et ils n’ont jamais pu récupérer leurs avoirs. Entre 1941 et 1960, Ottawa a interdit l’entrée au pays de tout immigrant en provenance du Japon.

Le gouvernement canadien, sous le régime de Brian Mulroney, a présenté ses excuses à la communauté japonaise plus de 40 ans plus tard, soit en 1988. Le groupe de Canadiens d’origine nipponne qui disait avoir été lésé pendant la Seconde Guerre mondiale a reçu un total de 300 M$ en dédommagement.

Kuniko Kondo considère qu’avec l’assouplissement de la politique d’immigration au pays après 1960 les Canadiens ont appris à mieux connaître les Japonais. Les Jeux olympiques d’été de Tokyo en 1964, l’Exposition universelle d’Osaka de 1970, les Jeux olympiques d’hiver de Sapporo en 1972 ainsi que l’accession du pays au rang des nations les plus industrialisées du monde ont contribué à changer notre perception du Japon, en plus de le doter d’une stature internationale. Plus près de nous, à Montréal, l’aménagement d’un jardin et d’un pavillon japonais au Jardin botanique a contribué à diffuser les us et coutumes de la communauté japonaise, tels l’arrangement floral et la cérémonie du thé.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale



 
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