Édition du 14 janvier 2002 / Volume 36, numéro 16
 
  Les hommes font la guerre, les femmes la subissent
Un 6 décembre à l’heure du terrorisme et de la guerre en Afghanistan

Dans l’ordre habituel, Élisabeth Montésino, Andrée Laprise, Ginette Lamarche, Denise Couture et Lorraine Guay

Actualité oblige, c’est sur le thème «Femmes et terrorisme» que s’est tenue la table ronde organisée par le Comité permanent sur le statut de la femme le 6 décembre dernier pour commémorer la journée contre la violence faite aux femmes.

Chacune des quatre conférencières a fait ressortir un aspect particulier de la situation des femmes en contexte de guerre. Lorraine Guay, représentante de la Fédération des femmes du Québec, a rappelé que les groupes féministes engagés dans la Marche mondiale des femmes avaient déjà désigné, bien avant le 11 septembre, la pauvreté comme un terreau propice au développement du terrorisme. «Après le 11 septembre, les femmes sur le terrain en Afghanistan disaient toutes que la guerre ne serait pas une solution au terrorisme. Ce qu’il faut, c’est résoudre les problèmes de disparité et d’injustice.»

Après avoir recensé les différentes actions menées par de ces groupes de femmes et autres organismes populaires, ici comme devant les Nations Unies, pour s’opposer à la guerre, Mme Guay a dû reconnaître que cette bataille a été perdue. «On ne sait pas ce qu’aurait pu donner une solution politique et négociée, a-t-elle déploré. L’expérience millénaire d’opposition des femmes à la guerre pourrait servir de base à de telles solutions», estime-t-elle.

Et de la négociation, il en faudra dans l’Afghanistan de l’après-talibans, puisque la fameuse burqua et l’interdiction faite aux femmes de travailler dans les bureaux et dans les médias ont été imposées par l’Alliance du Nord avant la prise de pouvoir par les talibans. «Il y a au sein de l’Alliance du Nord des branches criminelles et il est inquiétant que ces gens soient au pouvoir.»

Sortir de chez soi: une victoire!

Revenant d’un séjour de deux mois en Afghanistan, Ginette Lamarche, journaliste à Radio-Canada, a raconté ce qu’elle a vu de la vie quotidienne des femmes à Kondoz, une ville de 200 000 habitants dans le nord du pays. Après deux ans de régime taliban, il ne restait plus aucune institution sociale. Pas de service postal, pas d’électricité, écoles fermées et détruites, hôpitaux délabrés et insalubres, absence des organismes d’aide.

Certaines femmes courageuses ont tout de même persisté à donner des cours aux jeunes filles de façon clandestine, au risque d’être arrêtées et emprisonnées. Dans les campagnes, la journaliste a recueilli plusieurs témoignages selon lesquels des femmes meurent en couches faute de soins.

Même après le départ des talibans, Ginette Lamarche n’a pas vu une seule femme oser sortir de chez elle sans sa burqua. «C’est une tradition, nous disaient même les femmes instruites, alors que ce voile n’est imposé que depuis quelques années. Aucune femme ne s’élève contre cette pratique de peur d’encourir la réprobation et de se faire battre par son mari. Pour ces femmes, avoir maintenant le droit de sortir de leur maison, même avec une burqua, est déjà toute une victoire!»

Les 20 années de guerre auront aussi des conséquences plus pernicieuses à long terme. Selon Mme Lamarche, la guerre a détruit les normes de la vie familiale en minant la confiance que les enfants pouvaient témoigner envers les adultes. «Plus aucun enfant ne croit que les adultes peuvent le protéger», dit-elle.

Élisabeth Montésino, intervenante sociale au CLSC Côte-des-Neiges, a pour sa part témoigné de la violence moins visible dont sont victimes les femmes en quête d’un statut de réfugié. Elle a notamment raconté un cas récent où une femme et son mari, à qui le Canada a refusé ce statut, ont été renvoyés dans leur pays d’origine. Dans les jours qui ont suivi, le mari a été abattu et la femme s’est fait violer à répétition. «Le viol est le symbole de la victoire du gagnant et de la défaite du perdant», dénonce-t-elle.

Andrée Laprise, éditrice et auteure d’une maîtrise sur l’internement des étrangers au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale, a souligné des faits méconnus de cette page d’histoire, entre autres le cas d’une vingtaine de femmes internées et isolées à la prison de Kingston plutôt que dans des camps comme le prévoient les accords sur les prisonniers de guerre.
Selon ses recherches, la plupart de ces femmes ont été victimes de délations sans fondement. L’une d’elles, d’origine autrichienne, a été accusée de sympathie nazie par un concurrent qui voulait s’approprier son restaurant, ce qu’il a d’ailleurs réussi une fois qu’elle a été internée et ruinée; une autre, originaire de l’Italie, a été accusée d’espionnage par un voisin qui s’était fait refuser ses avances, une accusation jugée irréaliste… après un an de détention!

Mme Laprise a par ailleurs fait ressortir des parallèles entre la loi sur les mesures de guerre de l’époque, qui permettait d’emprisonner des gens sur un simple soupçon, et l’actuelle loi antiterroriste, qui stipule qu’il n’est pas nécessaire de savoir qu’une action accomplie constitue un soutien à une activité terroriste pour procéder à une arrestation. «Cela ouvre de nouveau la porte à la chasse aux sorcières», craint-elle.

L’animatrice de la table ronde, Denise Couture, professeure à la Faculté de théologie, a ainsi résumé l’état d’âme suscité par ces pénibles constats: «“Faire mémoire” de la violence faite aux femmes est toujours un exercice difficile!»

Daniel Baril



 
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