Édition du 14 janvier 2002 / Volume 36, numéro 16
 
  Un artiste tchèque disparaît tranquillement dans Côte-des-Neiges
Le Centre d’exposition présente une rétrospective de Milos Reindl.

Milos Reindl, La visite, huile sur toile, 1992, 45 x 66 cm.

«Ne me posez pas de questions. Je ne veux pas expliquer mes œuvres», dit l’homme de 68 ans en accueillant ses visiteurs. À l’intérieur de son logement de la rue Ridgewood, sur les flancs du mont Royal, Milos Reindl se déplace lentement, acceptant de bonne grâce de prendre la pose pour le photographe de Forum, Bernard Lambert. Mais le cœur n’y est pas. «Je ne vais pas bien. J’en ai assez de vivre», laisse tomber l’artiste comme pour s’excuser.

Il ne touche plus à un pinceau depuis des années, mais une toile blanche est posée là, au milieu de la pièce. Le canevas immaculé est prêt à recevoir les bleus et les rouges de l’artiste. Mais les tubes de peinture à l’huile et le matériel d’artiste accumulent la poussière.

Le Centre d’exposition de l’Université de Montréal consacre à ce peintre une rétrospective à partir du 17 janvier. Une cinquantaine des quelque 800 toiles de Milos Reindl seront présentées au public. Des toiles qui, il faut le dire, rompent avec l’humeur noire de cet artiste tchèque arrivé au Québec en 1968 et qui a enseigné durant 20 ans au Département de communication graphique de l’Université Laval.

«Il y a une bien grande leçon à tirer des tableaux de Milos Reindl, et cette leçon est très simple, estime François-Marc Gagnon dans le catalogue de l’exposition: l’art peut être une protestation, une dénonciation des maux de la société, une introspection douloureuse, une descente au fond de l’abîme, mais il peut aussi être une célébration de la vie.»
Il est vrai que l’attitude atrabilaire du sexagénaire, qui sourit peu et ne répond pas aux questions, rompt avec l’atmosphère qui émane des dizaines de toiles accrochées dans son logement. Partout, les couleurs vives font jaillir une lumière joyeuse dans la pièce. «Oui, je suis un coloriste», laisse-t-il tomber dans un soupir…

Ce paradoxe s’exprime de façon très efficace dans les tableaux et suscite un sentiment ambigu dans l’esprit du visiteur. Celui-ci, tout heureux de découvrir un bateau ou une locomotive dans la composition, s’approche et saisit mieux le sens de l’évocation: l’exil, la mort, l’oubli.

Transmission d’une culture

Minos Reindl

François-Marc Gagnon, professeur émérite de l’UdeM et professeur à l’Université Concordia, croit que Milos Reindl a le mérite d’avoir transmis à des étudiants québécois une culture européenne très riche. «On ne l’a pas beaucoup, ici, cette grande culture, confie-t-il au cours d’un entretien téléphonique. Ses œuvres témoignent de plusieurs influences. On sent Picasso, Chagall, Matisse, Dubuffet… On reconnaît Prague, Paris.»

C’est comme affichiste que l’artiste s’était fait connaître dans son pays d’origine, et c’est à ce titre qu’il a été invité à enseigner aux étudiants de Québec. Il a toujours peint pour lui-même, et la rétrospective de l’Université de Montréal est la première à lui être consacrée. «Ce n’est pas mon idée», précise-t-il, ajoutant toutefois qu’il est content du livre que lui a écrit François-Marc Gagnon. Publié par les éditions Les 400 coups, Milos Reindl: peinture, 1967-1999 présente le peintre en décrivant les toiles sélectionnées pour l’exposition par M. Gagnon, en collaboration avec Renata Hochelber et Wolfgang Noethlichs.

«Son cheminement est typique de l’artiste qui devient professeur d’université, commente M. Gagnon. Il peint toute sa vie, mais n’a jamais le temps d’organiser une exposition. Je crois qu’il était important de rendre hommage à cet homme.»

Chez Milos Reindl, les «emprunts» aux grands maîtres sont tellement évidents qu’on peut presque s’amuser à les nommer. «Dans un seul tableau, souligne M. Gagnon, il peut y avoir des allusions à Matisse, Picasso et Dubuffet. Ce sont ses clins d’œil aux maîtres. Mais sa peinture, figurative, est assez originale.»

La signature du catalogue par François-Marc Gagnon constitue-t-elle une sanction de la qualité de l’œuvre de Reindl? L’auteur répond qu’on ne peut mettre Milos Reindl sur le même pied que les Riopelle et Borduas. Mais sa production est honnête et a su évoluer sur une longue période. Elle compte en outre des moments forts, comme une suite d’autoportraits présentés dans la rétrospective.

Réflexion sur le statut de l’artiste

À la suite de la rétrospective Reindl, le Centre d’exposition présentera Visiter les entrailles de la terre, où l’on pourra voir les plus récentes œuvres d’Éric Demers. S’inspirant de la démarche des deux hommes, le Centre a décidé d’organiser un débat sur le statut de l’artiste le 27 février prochain. «Quand devient-on un artiste reconnu?», voilà la question à laquelle on tentera de répondre.

En prenant comme exemple la vie et l’œuvre de Milos Reindl et d’Éric Demers, la discussion portera sur la possibilité ou l’impossibilité d’obtenir une reconnaissance artistique en dehors des réseaux traditionnels de diffusion. Cette rencontre rassemblera des artistes et des organisateurs d’événements culturels.

Mathieu-Robert Sauvé

Milos Reindl: la célébration de la vie, du 17 janvier au 14 février, Centre d’exposition de l’Université de Montréal, 2940, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, local 0056. Le Centre est ouvert les mardis, mercredis, jeudis et dimanches de 12h à 18h. L’entrée est libre.



 
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