Édition du 28 janvier 2002 / Volume 36, numéro 18
 
  Qui a peur du livre électronique?
Zeïneb Gharbi consacre son doctorat au «livrel»

Zeïneb Gharbi a reçu une bourse d’État du gouvernement tunisien pour mener des recherches à l’EBSI. C’est au cours de ses travaux de maîtrise qu’elle a décidé de travailler sur le livre électronique.

Bientôt, un écran aussi mince qu’une feuille de papier, avec une antenne incorporée, affichera le contenu de votre quotidien transmis par ondes radio et mis à jour à toute heure. Ce qu’on appelle «encre électronique» fera peut-être avancer d’un pas la convivialité des livres électroniques ou «livrels», ainsi que le recommande l’Office de la langue française.

«À Montréal, on trouve des livrels dans les boutiques d’appareils électroniques pour moins de 500 $, nous apprend Zeïneb Gharbi, étudiante au doctorat à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI). Mais son utilisation est encore très marginale, surtout chez les francophones.»

Sous la direction de Gilles Deschâtelets, directeur de l’EBSI, Mme Gharbi étudie les «pratiques de lecture sur écran, plus particulièrement sur les livres électroniques», et entend soumettre une dizaine de sujets de recherche à des expériences. Sa thèse portera principalement sur la clientèle universitaire, qui représente le lectorat le plus susceptible de s’intéresser à cette nouvelle technologie. «Entendons-nous bien, explique cette étudiante tunisienne qui est à Montréal depuis quatre ans. Le livre électronique ne remplacera pas la monographie traditionnelle, version papier. Mais il peut apporter une valeur ajoutée au document écrit. Dans un livrel, on peut saisir des données, intégrer un dictionnaire, regarder des images vidéo, écouter de la musique. C’est en quelque sorte de la lecture assistée par ordinateur…»

Le livrel ne se substituera pas de sitôt au bouquin dont Marie-France Bazzo ou Christiane Charrette ont parlé et qu’on achète en passant à la librairie du quartier. Mais les différents modèles peuvent contenir la bagatelle de 15 000 pages et la plupart sont conçus pour être branchés sur Internet ou, à tout le moins, rechargés. Pour les ingénieurs, les professeurs, les gens d’affaires, les architectes, les communicateurs, cela signifie transporter toute une bibliothèque sous le bras.

Problème de définition

Mais quelle est donc la différence entre un livrel (que les Français appellent bien entendu ebook) et un ordinateur portatif? L’Office de la langue française définit le livre électronique comme un «petit portable en forme de livre, muni d’un écran de visualisation, qui permet de stocker et de lire les publications en ligne disponibles par téléchargement par Internet».

Pour désigner l’objet dont l’apparition est très récente (les premiers modèles grand public sont apparus en 1998), on entend des termes comme «hibouc», «bouquineur», «livre numérique», «tablette électronique», etc., que l’usage se chargera de sélectionner. Il faut aussi distinguer le livrel des logiciels qui offrent une pléthore de documents destinés à la lecture sur écran et qu’on appelle parfois «livre électronique» (Microsoft Reader, Acrobat eBook Reader ou NetLibrary). Les agendas électroniques peuvent aussi télécharger des fichiers.

«Pour ce qui est de la lecture romanesque ou lecture détente, ce nouveau support n’est pas fait pour rivaliser avec le bon vieux livre imprimé, dit Zeïneb Gharbi, qui n’utilise pas elle-même de livrels. Mais il y a un potentiel pour la lecture professionnelle ou savante. D’ailleurs, plusieurs universités américaines possèdent dans leurs bibliothèques des livrels que les étudiants empruntent de la même façon que n’importe quel ouvrage.»

Le modèle Rocket E-book, par exemple, se retrouve à la North Carolina State University, au Rochester Institute of Technology et à l’Université du Wisconsin. On peut y lire des ouvrages de fiction et des essais, ainsi que des documents techniques.

Zeïneb Gharbi procédera bientôt à des tests auprès d’une dizaine d’étudiants à la maîtrise. Elle observera leurs réactions. «Seront-ils à l’aise ou frustrés devant cette machine? Utiliseront-ils les fonctions comme le surlignage ou l’annotation automatique? C’est ce que je chercherai à savoir, notamment.»

L’ombre des droits d’auteur

Preuve que le livrel fait son entrée dans l’histoire de la littérature, une salle complète lui était consacrée au salon du livre de Paris, au printemps dernier. Il faut dire que l’un des modèles les plus intéressants, le Cybook, qui se présente dans un étui semblable à une couverture de livre, vient de France.

Chez Amazon.com et sur le site français 00h.com, on peut commander la plupart des ouvrages publiés chez les éditeurs professionnels du monde industrialisé. La livraison se fait en quelques jours et à des prix qui défient la compétition. Mais un bon nombre de livres sont aussi accessibles directement par téléchargement. Le coût est alors beaucoup moindre, parfois de moitié. Ce marché est appelé à croître.

«Cela pose des problèmes de droits d’auteur qui ne sont pas résolus, souligne Zeïneb Gharbi. Si vous achetez un roman et que vous le téléchargez, pouvez-vous le transférer à votre ami? A priori, non. Mais comment l’empêcher?»

Cela n’est pas sans rappeler la situation qui a prévalu dans le monde de la musique populaire, avec les sites Napster et MP3, où le piratage a provoqué une véritable crise.

Pour l’étudiante, il ne fait pas de doute, toutefois, que le livrel est là pour rester. Même si certaines personnes ne mangeront jamais de ce pain-là. «Des gens sont encore anti-courriel, et même anti-téléphone. C’est leur droit, dit-elle. Mais il faut reconnaître que ces nouveaux outils ont un bon potentiel de développement.»

Et elle cite l’intellectuel torontois Derrick de Kerkhove, qui définit la page imprimée comme «le seul endroit où les mots ont un domicile fixe»…

Mathieu-Robert Sauvé



 
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