Édition du 4 février 2002 / Volume 36, numéro 19
 
  La douleur: ça fait plus mal quand on y pense
Pierre Rainville étudie les signes neurophysiologiques de la douleur.

Pierre Rainville, à 36 ans, est déjà un chercheur de renom. Il a signé des textes dans Science, Le Journal of Neuropsychology, Le Journal of the American Physiological Society et d’autres revues à diffusion internationale.

Lorsqu’on suggère à des sujets de recherche sous hypnose qu’ils vont ressentir une douleur extrêmement intense quand ils plongeront leur main dans un bac d’eau chaude, leurs circuits neuronaux s’activent davantage que si l’on suggère aux mêmes sujets que la chaleur sera à peine, ou pas du tout, douloureuse. Le signal de la douleur est modifié à partir de la moelle épinière jusqu’au cerveau.

C’est ce que Pierre Rainville, chercheur adjoint à la Faculté de médecine dentaire, a démontré au cours d’une recherche portant sur la représentation cérébrale de la douleur et qui vient de faire l’objet d’une publication dans le Journal of Neurophysiology avec Gary Duncan et des collaborateurs de l’Université McGill. «Le centre de la douleur n’existe pas, précise le chercheur, qui a effectué une partie de ses récents projets à l’Université de l’Iowa. Aucune lobotomie ne fait disparaître complètement la douleur. Mais les dernières recherches menées grâce à l’imagerie par résonance cérébrale fonctionnelle montrent clairement que certaines parties du cerveau se modifient lorsqu’on appréhende la sensation à venir. En d’autres termes, la réponse de certaines régions corticales est directement proportionnelle à l’expérience subjective de la douleur.»

La douleur est une sensation essentielle à la survie. Sans l’expérience de la douleur, pas de réflexe de protection, pas de peur, pas de prévention des risques… Mais le seuil de tolérance varie d’une personne à l’autre et d’une situation à l’autre. La douleur abdominale ressentie après un gros repas est différente de celle d’un menuisier qui s’assène un coup de marteau sur le doigt!

Si le seuil de tolérance à la douleur diffère d’un individu à l’autre, des recherches révèlent qu’un liquide dont la température atteint les 50 à 55 ºC est considéré comme trop chaud pour qu’on y plonge la main. «Au-delà de cette température, il risque d’ailleurs d’y avoir des dommages aux tissus», précise Pierre Rainville.

Là où ça devient intéressant, c’est quand le sujet de recherche anticipe l’expérience.

Le cerveau en action

Pour observer l’épreuve de la douleur, il faut d’abord fixer des paramètres objectifs. Or, plusieurs types de douleurs peuvent être reproduites dans des conditions de laboratoire: l’ischémie, l’immersion et le choc électrique. Pour diverses raisons, le chercheur a opté pour l’immersion de la main dans l’eau. En maintenant un bac d’eau à une température trop élevée pour être confortable mais pas assez pour être insupportable, l’expérience pouvait se concentrer sur l’activité cérébrale pendant la douleur.

Trois conditions expérimentales ont été utilisées. Dans la première, les sujets ont simplement plongé pendant une minute leur main dans un bac rempli d’eau à 47 ºC. Dans la deuxième, les sujets étaient hypnotisés, et l’expérimentateur leur suggérait que l’eau était très chaude. Dans la dernière condition, où les sujets étaient également sous hypnose, l’expérimentateur suggérait, au contraire, que l’eau était à une température peu élevée.

Les questionnaires, remplis après chaque épreuve, ont révélé que les sujets ont ressenti beaucoup plus de douleur dans la deuxième condition que dans la troisième. Cela démontre que l’anticipation d’une épreuve en accentue l’acuité. «Nous savons tous qu’il existe une composante affective de la douleur, dit Pierre Rainville. Notre recherche montre qu’il y a des signes physiologiques dans le système nerveux quand on a mal. Les sujets n’ont pas simplement réagi aux suggestions pour faire plaisir à l’expérimentateur. L’activité de leur cerveau dans plusieurs régions qu’on sait actives dans la douleur suggère qu’ils ressentaient effectivement plus ou moins de douleur dans les différentes conditions expérimentales.»

Une autre recherche appuie cette affirmation. Lorsqu’on demande à un sujet de porter son attention sur autre chose que sa douleur (des sons par exemple), l’intensité de celle-ci baisse considérablement. Elle passe de 6 à 4 sur une échelle de 10. De même, certaines régions du cerveau activées au moment de la douleur présentent une diminution d’activité.

Différentes zones dans le cerveau sont activées quand on suggère au sujet que la chaleur sera très élevée ou au contraire, supportable. La température, elle, demeure identique.

Une passion pour le cerveau et l’émotion

Fasciné par la science des émotions depuis ses études de premier cycle en biologie, dans les années 80, Pierre Rainville a été amené à constater que la douleur était peut-être la meilleure porte d’entrée pour explorer ce champ. En 1991, un étudiant de la Faculté de médecine dentaire, Benoît Carrier, consacre un stage d’été à la modélisation de la douleur par l’hypnose dans les laboratoires des Drs Duncan et Bushnell. Pierre Rainville, qui commence alors son doctorat en neuropsychologie expérimentale, est aussitôt séduit. «J’ai réalisé tout le potentiel de ce sujet de recherche. Par la suite, j’en ai fait mon projet de doctorat», relate-t-il.

En 1997, les deux étudiants font une entrée remarquée dans le monde de la recherche en signant ensemble un article dans la revue Science. Les codirecteurs de Pierre Rainville, Gary Duncan (Université de Montréal) et Catherine Bushnell (Université McGill), sont également signataires de l’article.

«La douleur est une expérience subjective, dit Pierre Rainville, mais cela ne signifie pas que nous devons éviter de la prendre au sérieux. Les médecins qui ne considèrent pas la douleur comme une partie intégrante de la pathologie font fausse route. La douleur n’est pas séparée de la maladie.»

Tout en critiquant la tolérance zéro du corps médical à l’égard de la douleur, et la dépendance excessive des patients aux psychotropes et aux analgésiques, Pierre Rainville admet que l’organisme humain peut se dérégler. Une douleur chronique, par exemple, est souvent due à un mal sévère qui envoie des signaux puissants. Dans certains cas, les signaux persistent alors que le mal a disparu. Il faut alors agir. Mais bien souvent, la douleur est prise d’assaut unilatéralement par la pharmacopée alors que des approches non pharmacologiques pourraient aussi contribuer à son soulagement.

Disposant de bourses qui lui assurent une certaine stabilité pour les trois prochaines années, Pierre Rainville a refusé des offres aux États-Unis parce qu’il préférait s’installer au Québec avec sa conjointe et ses deux enfants. Sa situation de chercheur à la Faculté de médecine dentaire et les subventions de départ que les organismes subventionnaires lui ont allouées lui garantissent de bonnes conditions de travail.

Il se concentre actuellement sur des questions au confluent de la science et de la philosophie. «La douleur est une expérience très liée aux émotions et à la conscience, dit-il. Or, qu’est-ce que la conscience? Les scientifiques abordent cette question avec prudence et les neurosciences de la douleur apporteront peut-être quelques éléments de réponse.»

Aristote a classé la douleur parmi les passions de l’âme et en a fait un élément distinctif des cinq sens. Pierre Rainville n’a pas l’ambition de trouver des réponses définitives…

Mathieu-Robert Sauvé



 
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