Édition du 4 février 2002 / Volume 36, numéro 19
 
  Le CHUM: entre l’espoir et la dérive
Les urbanistes déplorent le manque de consultation publique dans le projet du futur CHUM.

En primeur, voici à quoi pourrait ressembler le futur CHUM à l'angle des rues Saint-Denis et Van-Horne, vu à partir de l'ouest. Cette projection ne représente pas nécessairement le projet final qui est en évolution constante.

On en parle depuis 1927. Le projet de doter l’Université de Montréal d’un véritable centre hospitalier devrait être mené à terme en 2006, à l’angle des rues Saint-Denis et Van Horne. Ainsi en ont décidé les responsables gouvernementaux.

Mais le projet est loin de faire l’unanimité, notamment chez les urbanistes, qui craignent les effets négatifs sur le quartier résidentiel avoisinant et qui dénoncent l’absence de consultation publique. Les étudiants en urbanisme de l’UdeM ont fait porter sur cette controverse la conférence annuelle de l’Association canadienne des étudiants en aménagement et en urbanisme dont ils étaient les hôtes la semaine dernière.

Parmi les défenseurs du projet, André Lacroix, professeur à la Faculté de médecine et membre du conseil d’administration de la Société d’implantation du CHUM (SICHUM), a soutenu que ce projet était essentiel pour assurer des soins de qualité, retenir les cliniciens experts à Montréal, maintenir la compétitivité en recherche médicale et assurer une utilisation rationnelle des ressources. «La tentative d’intégration du centre hospitalier sur trois sites vétustes s’est avérée inefficace et aurait entraîné des coûts de 1,6 milliard de dollars en aménagement», a-t-il affirmé.

Dans le domaine de spécialité du Dr Lacroix, soit l’endocrinologie, les chercheurs et cliniciens sont actuellement répartis entre l’Hôtel-Dieu, l’hôpital Notre-Dame et l’hôpital Saint-Luc. «La réunification du CHUM regroupera dans un même centre 22 endocrinologues et 10 chercheurs postdoctoraux, ce qui en fera un centre majeur au Canada. L’enseignement tout comme les soins ne pourront qu’en être qu’améliorés.»

Gérard Beaudet

Dinu Bumbaru

Henri-Paul Martel

André Lacroix

Projet structurant

Dans une présentation résolument rassurante, Henri-Paul Martel, vice-président exécutif de la SICHUM, a voulu convaincre son auditoire que les concepteurs du projet avaient pris en compte et réglé tous les problèmes. Plusieurs ont ainsi appris que le site couvre non seulement l’emplacement actuel du garage de la Société de transport de Montréal, mais tout le pâté allant de la rue Saint-Denis jusqu’au boulevard Saint-Laurent, soit 89 000 m2 de terrain.

Trente pour cent du terrain devrait être aménagé en espace vert, incluant un raccordement à la piste cyclable; ceci devrait contribuer, selon M. Martel, à combler le déficit de verdure dont souffre le quartier Petite-Patrie. Quant à la circulation automobile, qui pourrait être accrue de 2000 voitures aux heures de pointe dans ce secteur, pas de problème là non plus: «le réseau routier devrait pouvoir absorber ce surplus et le projet prévoit 3200 places de stationnement, alors qu’il existe un potentiel de 500 autres places dans les rues avoisinantes.»

D’autre part, quelque 778 emplois devront être relocalisés à la suite de l’expropriation de plusieurs entreprises industrielles et commerciales qui occupent actuellement les lieux.

Il ressort par ailleurs que la Ville de Montréal n’avait pratiquement aucun poids dans la décision de l’emplacement. Sa préférence aurait été le site à l’est de l’ancienne gare Viger, derrière Radio-Canada. «Pour nous, le défi est que le CHUM devienne un projet structurant pour le quartier», a fait valoir Richard Arteau, conseiller en planification à la Direction du développement urbain.

Le CHUM en quelques chiffres

Le CHUM accueille à lui seul près de 80 % des stagiaires en médecine, médecine dentaire, pharmacie et sciences infirmières de l’Université de Montréal. On y dénombre 700 médecins remplissant des charges d’enseignement ainsi que 298 chercheurs. Le nombre de ces derniers devrait augmenter de près de 50 % d’ici 2006, année d’ouverture du futur CHUM. Les fonds de recherche atteignent 40 M$ par année, soit près de la moitié des fonds consacrés à la recherche à l’Université de Montréal. Le budget annuel total du CHUM est de 525 M$.
Le futur CHUM comptera par ailleurs 908 lits, soit une diminution de 30 % par rapport à la situation actuelle. Cette perte sera comblée par le maintien de 300 lits dans les anciens pavillons du CHUM et par la diminution escomptée de 10 % des hospitalisations.
Le CHUM accueille en outre plus de 10 000 patients dans le cadre d’études cliniques et embauche 10 300 employés, ce qui en fait le deuxième employeur en importance à Montréal.

Et le projet sera structurant dans la mesure où il permettra de soigner les    cicatrices du viaduc Van Horne et des tunnels Saint-Laurent et Saint-Urbain, qui créent une déchirure entre la Petite-Patrie et le Mile End. La Ville envisage la démolition du viaduc, mais la voie ferrée demeure un obstacle majeur à la cicatrisation.

M. Arteau a également présenté les exigences minimales de la Ville: une étude sur la valeur patrimoniale de certains bâtiments commerciaux et industriels doit être réalisée, l’architecture doit s’harmoniser avec les édifices environnants et, surtout, ne doit pas prendre comme repère la Place-de-la-mode, que voisinera le CHUM. «Cet immeuble de 50 m de hauteur est hors norme et a été construit avant le plan d’aménagement du quartier», a indiqué le conseiller. Selon les normes, les façades du CHUM longeant les rues ne devraient pas avoir plus de 20 m de hauteur.
Dérive
Gérard Baudet, professeur à l’Institut d’urbanisme et animateur de la table ronde, a trouvé plutôt timides ces demandes de la Ville. Il a considéré comme «une dérive et une erreur» le fait de réduire un projet d’une telle envergure à une opération de design. Il a en outre reproché aux défenseurs de ne pas avoir su justifier le choix du site. «Ce choix ne s’impose pas de lui-même», a-t-il déclaré, opinion reprise de la salle par son collègue Jean McNeil, pour qui le choix de l’emplacement apparaît comme une «vérité révélée».
 
L’arrivée d’un tel établissement dans un quartier résidentiel inquiète également les résidents. Dyane Courchesne, directrice du Comité logement Rosemont– Petite-Patrie, craint les répercussions qu’aura l’augmentation du nombre d’automobiles sur la tranquillité du quartier. De plus, des compagnies de gestion auraient commencé à prendre possession de loyers dont le coût mensuel, pour certains, a augmenté de 200 $. «Avec l’empiètement de commerces sur l’espace résidentiel, la population du quartier, qui est l’une des plus pauvres de Montréal, devra subir une forte pression et sera obligée de se déplacer.»

Finalement, Dinu Bumbaru, directeur d’Héritage Montréal, a rappelé que le patrimoine, c’est aussi ce qu’on laisse pour le futur. «Les consultations et études d’impact sont venues seulement après que les décisions eurent été prises, a-t-il déploré. C’est comme consulter le condamné pour l’inscription sur son épitaphe.»

Daniel Baril


 
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