Édition du 4 février 2002 / Volume 36, numéro 19
 
  Des autoroutes plus vertes
La Chaire en paysage et environnement étudie les impacts du laisser-pousser.

Gérald Domon et son équipe font leur «terrain» entre deux voies d’autoroute où les véhicules passent à plus de 100 km/h.

Qu’est-ce qui peut bien amener une équipe de chercheurs universitaires à retourner, saison après saison, sur le même tronçon d’autoroute au péril de leur vie? Un projet du ministère des Transports, qui consiste à gérer «écologiquement» la végétation le long des autoroutes, comme cela se fait depuis longtemps en Europe. Chaque année, le ministère assure l’entretien de 5000 km de bordures d’autoroutes dans la province. Tondre, faucher, débroussailler et ramasser les détritus coûte près de un million de dollars. Résultat, des abords de routes rasés de près, mais dénués de tout intérêt.

Tandis qu’une équipe de biologistes de l’Université du Québec à Trois-Rivières étudie les effets du «laisser-pousser» sur la faune et la flore, la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal mesure l’évolution de ces nouveaux paysages, en plus de tâter le pouls des automobilistes. Avant d’appliquer la méthode à grande échelle, il faut en connaître le plus possible.

Le groupe de chercheurs de l’UdeM a d’abord sélectionné 23 points d’observation le long des autoroutes Henri-IV Nord à Val-Bélair, Félix-Leclerc à Cap-Santé et Jean-Lesage près de Saint-Hyacinthe, où un projet pilote de gestion écologique est en cours depuis 1998 sur des segments de deux à quatre kilomètres. On a privilégié des endroits stratégiques comme des courbes ou des collines, où l’œil est attiré naturellement. Posté sur l’accotement, tout près des voitures qui filent à plus de 100 km/h, un photographe prend des clichés du paysage. Mais «la photographie ne correspondait pas tout à fait au point de vue des automobilistes», observe Gérald Domon, codirecteur du projet. Son équipe a donc filmé en vidéo les bords d’autoroutes choisis, à basse puis à haute vitesse, en vue latérale puis panoramique. Exportés dans les ordinateurs, les clichés recueillis ont été traités et analysés.

Cette collection d’images permet aux chercheurs de mesurer la vitesse à laquelle poussent les différentes espèces de plantes, d’arbres et de fleurs et de faire des simulations. Ces petites fleurs blanches céderont-elles le pas à la salicaire pourpre — jolie mais envahissante — dans quelques années? C’est ce que les chercheurs pourront observer in situ.

Le point de vue des automobilistes

Mises en mouvement, numérisées ou agrandies, les images servent aussi à tester la nouvelle approche auprès de la clientèle première des autoroutes: les automobilistes. Chargée des entrevues auprès d’une trentaine de personnes, l’anthropologue Christiane Montpetit s’est demandé pourquoi tel ou tel paysage plaisait ou non aux répondants. Des usagers ont perçu les tronçons «verts» comme étant malpropres, les associant à des terrains à l’abandon, alors qu’une tonte occasionnelle améliore la perception du paysage.

Le chercheur a également constaté que d’autres éléments pouvaient influer sur la perception des usagers. Un pylône jure en pleine campagne, tandis qu’il est mieux accepté à proximité d’une ville. Il note également qu’aux yeux de plusieurs le bitume abîmé déprécie le paysage.

Bien que l’enquête ait révélé des opinions très variées, il demeure que «les petites fleurs sont très appréciées», résume Mme Montpetit. Finalement, il semble que des prairies à perte de vue ou d’interminables allées de graminées aient le même effet: l’ennui. De la variété, SVP!

Sécurité routière

Les intérêts du projet de gestion écologique ne sont pas que d’ordre environnemental. En ralentissant un véhicule à une sortie de route, en réduisant l’éblouissement des phares ou encore en coupant le vent, la végétation contribuerait à la sécurité des automobilistes.

Alors, finies les tondeuses? Pas tout à fait. Il ne sera pas possible d’appliquer le même type d’aménagement partout. Chaque contexte nécessitera son programme d’entretien. Il faudra prévoir l’utilisation de tondeuses manuelles pour épargner certaines plantes, tailler des arbres au besoin, enrayer l’herbe à poux, etc. La gestion écologique ne coûtera pas nécessairement moins cher que la coupe à blanc traditionnelle.

De plus, l’instauration de ce type de gestion ne se fera pas sans heurts. «Nous avons cru pouvoir conjuguer les effets positifs de l’écologie, de l’économie, de l’esthétique et de la sécurité. Mais nous avons réalisé que certaines valeurs allaient plutôt s’affronter», admet M. Domon. Il cite l’exemple des phragmites; prisées par les amateurs de bouquets sauvages, ces graminées envahissantes déplaisent aux agriculteurs. De leur côté, les propriétaires de commerces ou d’industries en bordure des autoroutes apprécieront-ils de voir leurs enseignes et panneaux publicitaires masqués par un boisé?

Cela dit, sur le plan touristique, le nouveau mode de gestion permettrait à chaque coin de la province de mettre sa flore en évidence. Les abords d’autoroutes deviendraient en quelque sorte une carte de visite. Ainsi, il ne faudra pas se surprendre de voir bientôt des touristes pique-niquer au milieu des voies rapides.

Annie Cloutier
Collaboration spéciale



 
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