Édition du 4 février 2002 / Volume 36, numéro 19
 
  Il y a deux fois plus de diabète chez les autochtones de Kahnawake
Mais un programme auquel participe Louise Potvin permet l’optimisme.

Louise Potvin, Alex McComber et la Dre Ann Macaulay ont à cœur la diminution de l’incidence du diabète dans la population de Kahnawake, qui souffre deux fois plus de cette maladie que le reste du Québec.

Chaque jour, la Dre Ann Macaulay traite des personnes atteintes de diabète dans son cabinet de la communauté mohawk de Kahnawake, sur la rive sud de Montréal. «Ici, des gens meurent de crises cardiaques à l’âge de 50 ans à cause du diabète. Ce n’est pas acceptable à notre époque», dit le médecin qui fréquente les habitants de cette communauté depuis trois décennies.

Lorsqu’elle se rend dans les classes des écoles primaires et qu’elle demande quel élève a des frères, des sœurs ou des parents diabétiques, tous lèvent la main. «Le diabète touche 12 % des autochtones de Kahnawake. Deux fois plus que dans la population en général. C’est un problème de santé publique grave», dit Louise Potvin, titulaire de la Chaire sur les inégalités de santé de l’Université de Montréal et chercheuse au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé. Avec la Dre Macauley et deux autres universitaires, ainsi que des partenaires autochtones, elle s’occupe du Kahnawake Schools Diabetes Prevention Program (KSDPP).

«Ma propre mère souffrait de diabète et on ne le savait même pas, dit Alex McComber, responsable de la formation pour le KSDPP et membre de la communauté mohawk. Depuis longtemps, nous voyons des gens mourir à cause du diabète, mais nous ne faisons pas le lien avec nos habitudes de vie, typiquement nord-américaines.»

Heureusement, les choses changent. Depuis 1994, des gens formés par l’équipe du programme de prévention font la tournée des écoles pour expliquer que la maladie peut être évitée par une saine alimentation et la pratique d’activités physiques. «En sensibilisant les enfants, on touche indirectement toute la famille, car ils y transfèrent leur apprentissage», dit Louise Potvin.

Gène économique?

Une prédisposition génétique pourrait expliquer en partie l’incidence élevée du diabète chez les descendants des Premières Nations. La sélection naturelle leur aurait fait hériter d’une bonne capacité à accumuler les graisses dans leurs tissus. Cette particularité métabolique leur aurait permis de survivre aux périodes de disette quand la nature se montrait moins généreuse.
Mais cette hypothèse — contestée — du «gène économique» (thrifty gene) n’explique pas tout. La sédentarité et une alimentation trop portée sur les lipides ont créé des conditions propices à la propagation du diabète. Rappelons que cette maladie affecte le pancréas et peut mener à des complications comme l’hypertension, la neuropathie et l’infection des reins. Les cas les plus graves entraînent la cécité ou l’amputation des membres lorsque la circulation sanguine est bloquée. Il ne faut pas confondre cette maladie avec le diabète infantile, qui n’est pas dû à de mauvaises habitudes de vie mais à des faiblesses congénitales au pancréas.

Des résultats

Alex McComber affirme que les choses sont en train de changer dans sa communauté. On a construit des centres sportifs et mis sur pied des équipes de hockey, de soccer et de crosse, de même que des clubs d’aviron. Les gens marchent de plus en plus et l’alimentation s’améliore peu à peu.

«Les gens d’ici prennent conscience de leurs mauvaises habitudes», note ce diplômé à la maîtrise en administration de l’éducation. Le programme d’intervention n’est pas seul à l’origine de cette prise de conscience, affirme-t-il, mais il a certainement joué un rôle d’éducation populaire. Toutefois, il ne faut pas crier victoire. «La population, ici, mange des frites et prend des boissons gazeuses depuis plus de 30 ans. Pas facile de mettre sur son menu des légumes et des fruits.»

Membres de la grande famille des Iroquois, les ancêtres des Mohawks de Kahnawake étaient des agriculteurs qui complétaient leur alimentation avec les produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Ils mangeaient donc des haricots, des courges, du maïs et d’autres légumes bien avant que le Guide alimentaire canadien les recommande.

Respect et transfert de connaissances

Louise Potvin croit beaucoup au programme de prévention. «Une équipe de bénévoles et de professionnels vont rencontrer les élèves dans les écoles. Ce n’est pas une visite unique. Chaque groupe reçoit jusqu’à 10 visites par an. Cela sensibilise les jeunes.»

Les chercheurs ont rédigé un code d’éthique très détaillé quant à leur intervention afin de ne pas être perçus comme des colonisateurs nouveau genre. «Le partenariat est central dans notre démarche, estime Mme Potvin. Plusieurs membres de la communauté siègent au conseil du KSDPP et participent directement au projet. C’est important pour nous et pour eux.»
D’ailleurs, quand Forum a voulu rencontrer Mme Potvin pour parler du programme, celle-ci a réagi en nous fixant rendez-vous dans la réserve afin d’inviter ses partenaires à participer à l’interview. Pas question de parler de santé publique chez les Mohawks confortablement installée dans un bureau universitaire.

Actuellement, le KSDPP réunit une équipe de chercheurs et d’étudiants diplômés. Outre Mmes Macaulay et Potvin, l’équipe regroupe les professeurs Ollivier Receveur (UdeM) et Gilles Paradis (McGill), et quatre étudiants au doctorat et au postdoctorat. À ce jour, les recherches menées à l’intérieur de ce projet ont donné lieu à une quinzaine de publications scientifiques et à une centaine de conférences.

Subventionné depuis 1994 par Santé Canada, le KSDPP a reçu en 1998 des dons d’une fondation privée et jouit du soutien de la Communauté mohawk de Kahnawake. Bénéficiant depuis juillet 2001 d’une des 19 subventions du Conseil de recherches en sciences humaines accordées dans le cadre des programmes de partenariat université-communauté pour la recherche, le Centre de formation et de recherche en prévention du diabète, qui a donné naissance au KSDPP, a un budget de près de un million de dollars pour les trois prochaines années.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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