Édition du 18 février 2002 / Volume 36, numéro 21
 
  Pour que dure la Paix des braves
Des chercheurs étudient les fondements de la gouvernance autochtone.

Andrée Lajoie se dit emballée par le droit autochtone, une spécialité sur laquelle elle travaille depuis 10 ans.

L’entente de la Paix des braves, signée le 8 février dernier entre le gouvernement du Québec et le Grand Conseil des Cris, a été qualifiée par les deux parties d’entente de nation à nation, une expression lourde de signification.

«À l’époque coloniale, les peuples autochtones avaient une forme de gouvernance et des institutions sociales clairement établies et il n’y a pas eu, au Québec, de traité concédant la cessation des droits autochtones, rappelle Andrée Lajoie, professeure à la Faculté de droit. Malgré les perceptions de part et d’autre, la situation n’est pas celle où un gouvernement en domine un autre, mais une situation de gouvernements parallèles.»

Selon la professeure, les tensions qui résultent de cet état de choses obligent à trouver de nouvelles façons d’assurer des relations harmonieuses entre la société des Blancs et celle des autochtones et qui aillent au-delà des ententes sporadiques souvent conclues à la suite de crises majeures.

Autochtonie et gouvernance

Depuis trois ans, Andrée Lajoie travaille à la mise sur pied d’un vaste projet de recherche multidisciplinaire visant à établir les balises de ces relations entre deux nations qui aspirent à l’autodétermination. Le projet, qui met à contribution une quinzaine de chercheurs issus des domaines du droit, de l’anthropologie, de l’histoire, des sciences politiques, de la criminologie, de l’économie, de la sociologie et de la philosophie, vient de recevoir un financement de plus de 1,5 M$ de Valorisation-recherche Québec et portera à la fois sur les fondements lointains de la gouvernance autochtone et sur ses manifestations actuelles.

«Nous analyserons entre autres les mythes des autochtones afin de remonter aux sources de leurs institutions, comprendre la notion qu’ils ont des droits ancestraux et cerner les contraintes que cela impose aux échanges de part et d’autre, explique Mme Lajoie. Nous verrons du même coup comment les institutions coloniales ont pu modifier cette forme de gouvernance et l’interprétation des droits ancestraux.»

Bien que le terme «gouvernance» ait été surtout utilisé par la droite néolibérale qui réclame le démantèlement de l’État-providence, en contexte autochtone le mot renvoie davantage à la notion de self-government, «qui est liée à la décolonisation et qui inclut l’organisation du pouvoir, les institutions non étatiques, les groupes d’influence, les médias, la culture et les institutions traditionnelles, précise Mme Lajoie. Il met l’accent sur le développement autant social et politique qu’économique.»

Ce concept serait propice à l’instauration de nouvelles formes de rapports entre nos deux sociétés et à l’établissement d’interfaces qui évitent de tout faire reposer sur les seules relations de gouvernement à gouvernement.

Le groupe de recherche se penchera également sur les formes actuelles de cette gouvernance sociale et économique propre aux autochtones: participation civique, organisation des soins de santé, justice pénale, gestion foncière, propriété intellectuelle de la création artistique et développement économique.

Le caractère particulier de l’approche autochtone s’observerait même dans des projets comme l’ouverture de casinos, où subsisteraient des principes semblables à ceux qui gouvernaient la chasse à l’époque précoloniale. «Dans la société traditionnelle autochtone, le butin de la chasse et les autres richesses devaient être redistribués à toute la communauté, souligne la professeure. Les casinos représentent pour les autochtones des entreprises économiques collectives qui effectuent une redistribution analogue des richesses dans la communauté.»

Retombées

L’expertise qui sera développée dans cette recherche devrait avoir des retombées sociales et économiques importantes autant pour le Québec que pour les communautés autochtones. Le type de questions auxquelles elle s’attaque est au cœur de tous les traités et ententes conclus au cours des dernières décennies; la prise en compte de cette problématique a d’ailleurs assuré la réussite de ces traités.

Le projet, qui a été élaboré de concert avec l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, la société Makivik et l’Institut culturel Avataq qui y participent de plain-pied, prévoit d’ailleurs le transfert des connaissances vers les communautés autochtones sous forme de forums et de formation de chercheurs. En plus des 15 chercheurs universitaires, quatre chercheurs autochtones y sont engagés.

Mme Lajoie estime également que cette recherche positionnera avantageusement le Québec de même que le groupe de chercheurs sur les scènes canadienne et internationale, l’expertise pouvant être adaptée à des situations analogues ailleurs au pays ou dans le monde.

Le projet s’inscrit dans l’esprit des recommandations de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones, pour laquelle Andrée Lajoie a agi à titre de consultante en 1996 en produisant un rapport sur le statut juridique des autochtones.

Daniel Baril



 
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