Édition du 18 février 2002 / Volume 36, numéro 21
 
  Apprendre à accompagner aveugles et malvoyants!
Julie-Anne Couturier s’y consacre depuis 25 ans.

Julie-Anne Couturier (à gauche) supervise une étudiante, Mylène Lachance, qui simule la cécité près de l’immeuble de l’École d’optométrie.

Lorsqu’on a les yeux bandés et qu’on balaie l’air de sa canne blanche, les textures du sol sous les pieds (tapis ou béton) et les sons réverbérés par les murs deviennent des indices précieux pour marcher droit. Mais cette porte, faut-il la tirer ou la pousser? D’ailleurs, où diable se trouve la poignée?

Toute personne qui entre dans la peau d’un aveugle ne serait-ce qu’une petite heure en compagnie de Julie-Anne Couturier, professeure à l’École d’optométrie, comprend mieux la réalité des gens privés de vision qui doivent se déplacer dans des endroits publics. L’aide sonore de l’ascenseur et celle du feu de circulation prennent soudainement tout leur sens. «Il n’y a rien comme d’expérimenter soi-même un déplacement dans le noir complet pour saisir la réalité des personnes qui souffrent de déficiences visuelles», affirme Mme Couturier, coresponsable, avec Jacques Gresset, du Diplôme d’études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) en intervention en déficience visuelle (orientation et mobilité).

Un cours obligatoire, Simulation et techniques de déplacement, amène justement les étudiants à faire l’expérience des différents handicaps visuels: la cécité complète, bien entendu, mais aussi la basse vision. Pendant tout un trimestre, les étudiants passent une heure et demie par semaine les yeux bandés ou avec un simulateur semblable à un masque de plongée. Ils apprennent à se déplacer dans un immeuble mais aussi dans la rue, dans le métro, etc. Manier la canne blanche n’est pas une sinécure. On estime que de 100 à 150 heures de pratique sont nécessaires avant de parvenir à se débrouiller.

Un nombre croissant de déficients visuels

Mais les aveugles n’apprennent-ils pas dès leur prime jeunesse à marcher avec leur canne blanche? Bien sûr, répond Mme Couturier, mais un nombre grandissant de personnes souffrent de cécité à un âge avancé. Elles ont donc beaucoup à apprendre… lorsqu’elles ont fait leur deuil de la vision. «Dans notre métier, il faut savoir écouter, affirme la professeure. Ce n’est pas facile de vivre dans le noir. Surtout pour des gens qui ont eu la chance de voir. Souvent, nous sommes amenés à traverser avec eux cette période d’adaptation.»

La rétinopathie diabétique, la cataracte, le glaucome et d’autres dégénérescences ou maladies du globe oculaire, de la cornée ou des voies optiques peuvent mener à la cécité. Ces problèmes affectent particulièrement les aînés. De nos jours, la grande majorité des personnes aux prises avec un handicap visuel ne sont pas totalement aveugles. Elles ont un résidu de vision qui leur est fort utile pour se déplacer.

Au terme du programme d’études de deuxième cycle de l’École d’optométrie, un programme unique au Canada français, les diplômés peuvent exercer une profession peu connue mais drôlement utile pour les personnes concernées, consistant à «enseigner les concepts, les techniques et les habiletés indispensables au développement de l’autonomie, de la sécurité et de l’aisance dans l’espace». En clair, les spécialistes de l’intervention en déficience visuelle travaillent auprès des aveugles et des malvoyants de tous les âges pour les rendre plus autonomes dans leurs déplacements. La formation inclut l’accompagnement dans l’utilisation de la canne blanche, mais aussi du chien guide. «Notre but est d’amener les handicapés visuels à se déplacer en sécurité, avec aisance et autonomie», dit Julie-Anne Couturier.

11 000 handicapés visuels

Avec le vieillissement de la population, des maladies comme le glaucome, la cataracte et le diabète risquent de faire bien des ravages et de grossir le nombre de gens atteints de déficiences visuelles sévères. Actuellement, on compte quelque 11 000 personnes souffrant d’un handicap de la vision dans la région de Montréal. Environ 6000 sont regroupées au sein de l’institut Nazareth et Louis-Braille, qui a ouvert un point de service à l’École d’optométrie en 1998. C’est d’ailleurs à cette occasion que Julie-Anne Couturier a commencé à enseigner sa spécialité à titre de chargée de cours.

Diplômée du baccalauréat en orthopédagogie dans les années 70, Mme Couturier a obtenu en 1977 une maîtrise en réadaptation, option «déficience visuelle», de l’Université Western Michigan. En 1984, elle obtenait une seconde maîtrise, en basse vision cette fois, dans l’autre grande école américaine de cette discipline: le Pennsylvania College of Optometry.

Depuis 1978, elle n’a jamais cessé de travailler dans le domaine de la déficience visuelle. Le D.E.S.S., qui n’en est qu’à sa deuxième année d’existence, pourrait préparer la voie à un programme de doctorat. Déjà, estime Mme Couturier, le programme d’études est fort apprécié des étudiants.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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