Édition du 25 février 2002 / Volume 36, numéro 22
 
  Les bélugas meurent du cancer
Le taux de cancer atteint 27% chez les adultes; les HAP des alumineries seraient en cause.

L’équipe du Dr Daniel Martineau s’apprête à faire la nécropsie d’un béluga trouvé mort sur les rives du Saint-Laurent.

La principale cause de mortalité chez les bélugas adultes du Saint-Laurent est le cancer, plus particulièrement le cancer du petit intestin.

C’est ce que démontrent les analyses post-mortem effectuées à la Faculté de médecine vétérinaire sur les carcasses de bélugas recueillies sur les rives de l’estuaire du Saint-Laurent entre 1983 et 1999. Au total, 263 bélugas morts ont été repérés pendant cette période et 129 ont été acheminés à la Faculté; l’état de conservation de 100 d’entre eux était suffisamment bon pour permettre une nécropsie.

Ce programme d’analyses a été mis sur pied en 1982 par le Dr Daniel Martineau, professeur au Département de pathologie et de microbiologie, à qui se sont joints par la suite les Drs Sylvain de Guise, Stéphane Lair, Igor Mikaélian et André Dallaire.

 
Principale cause chez les adultes

Les analyses montrent que 22 % des bélugas sont décédés d’infections gastro-intestinales causées par des vers, 18 % de cancers et 17 % d’infections dues à des bactéries, virus et protozoaires.

Mais si l’on ne considère que les 79 bélugas adultes, les décès par cancer montent à 27 %, ce qui en fait la première cause de mortalité chez les bélugas âgés de 15 ans ou plus. Six des 18 cas de cancers terminaux affectaient le petit intestin, une forme de cancer très rare chez les mammifères, y compris l’être humain.

Le taux de cancer chez les bélugas adultes, toutes catégories confondues, est d’ailleurs comparable à ce qui est observé chez l’homme, où il est de 23 %. «Un tel pourcentage n’a jamais été observé parmi une population d’animaux sauvages où que ce soit dans le monde, affirme Daniel Martineau. À notre connaissance, c’est la première fois qu’on documente chez des mammifères sauvages un taux de cancer analogue à celui qui prévaut chez l’humain.»

Le troupeau de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent est estimé à 650 bêtes, sans qu’on sache exactement s’il est stable ou en déclin. Selon les projections établies par le chercheur, au moins 63 d’entre eux auraient été atteints de cancer pendant la période couverte par l’étude.

Dans un article à paraître dans l’édition de mars de la revue Environmental Health Perspective, Daniel Martineau souligne que seulement un cas de cancer du système gastro-intestinal figure parmi les 33 cas de cancers diagnostiqués chez les cétacés vivant en liberté ou en captivité de par le monde. Aucun cas de cancer n’aurait par ailleurs été observé chez les autres espèces de mammifères marins dont les carcasses ont été trouvées dans l’estuaire du Saint-Laurent et autopsiées entre 1983 et 1999.

Cause environnementale: les HAP

Si les cancers affectent plus les bélugas, est-ce à dire que ces animaux présentent une prédisposition génétique à cette maladie? Selon Daniel Martineau, la cause serait ailleurs puisque aucun cas de cancer n’a été noté chez les 50 bélugas de l’Arctique qui ont déjà fait l’objet d’une autopsie.

À son avis, la cause serait plutôt environnementale et il montre du doigt les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) rejetés par les alumineries. «Les HAP sont connus pour être cancérigènes et les données de Pêches et Océans Canada chiffrent à 40 000 tonnes la quantité de HAP en provenance des alumineries et qui ont été accumulées dans les bassins versants du Saguenay entre 1937 et 1980. Et les bélugas se nourrissent en partie d’invertébrés qui vivent dans les sédiments contaminés et qui retiennent les HAP dans leur organisme. Il existe donc un lien épidémiologique entre la présence de ces HAP et le cancer chez les bélugas», affirme le chercheur.

Ces hydrocarbures sont produits par la combustion des anodes (électrodes positives), composées de coke et de poix et utilisées pour l’électrolyse de la bauxite. Les 600 000 tonnes d’aluminium ainsi produites chaque année dans la région nécessitent 300 000 tonnes d’anodes.

«C’est la première fois qu’on documente chez des animaux sauvages un taux de cancer comparable à celui observé chez les humains», affirme Daniel Martineau.

Le lien entre HAP et cancer a également été observé chez les humains. Un chercheur de l’Université McGill a démontré en 1984 que le risque de développer un cancer de la vessie est 42 fois plus grand chez les employés des alumineries qui travaillent près des cuves que dans la population en général. L’épidémiologie des cancers du système digestif (estomac, intestin, œsophage, bouche) montre également que ces cancers sont plus fréquents au Saguenay que dans les autres régions du Québec.

Selon Daniel Martineau, ceci serait lié à l’eau potable qui, pour 79 % de la population du Saguenay, provient des eaux de surface. «Le partage des mêmes conditions environnementales crée des cancers particuliers parmi la population humaine et la population de bélugas, souligne-t-il.

Daniel Baril



 
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