Édition du 11 mars 2002 / Volume 36, numéro 23
 
  La condition enseignante
Lancement d’un ambitieux projet de recherche longitudinale pancanadien pour prendre le pouls du système d’éducation.

«Nous possédons très peu de données sur le taux de pénétration et de réussite des diverses réformes en éducation», affirme Maurice Tardif.

Un vaste projet de recherche portant sur la situation des enseignants, l’évolution de la profession, la portée des réformes et les pratiques pédagogiques vient d’être lancé à l’échelle nationale grâce à une généreuse subvention de 2,5 M$ du CRSH.

«Le milieu de l’éducation représente six pour cent de la main-d’œuvre au Canada et l’on y investit autant qu’en santé, mais nous ne possédons que très peu de données qui nous permettent de nous faire une idée de la situation», affirme Maurice Tardif, directeur du projet et professeur au Département d’études en éducation et d’administration de l’éducation.

Le projet, qui réunit 15 chercheurs de neuf centres universitaires de cinq provinces canadiennes et 11 chercheurs des États-Unis, de France, du Brésil, de Suisse et d’Angleterre, vise à dresser le portrait de la situation et surtout à en observer l’évolution afin de cerner les défis qui se présenteront aux cours des prochaines décennies. Les milieux visés sont le préscolaire, le primaire et le secondaire.

Où va la tendance?

Selon M. Tardif, «des tendances mondiales sont observables en éducation, mais nous n’avons pas de données de comparaison entre les provinces et nous ignorons comment ces tendances se manifestent dans l’ensemble du Canada».

Parmi ces tendances, le professeur mentionne le mouvement de décentralisation administrative vers les écoles, l’imputabilité des enseignants, la professionnalisation de leur fonction, le pluralisme ethnique et culturel et l’approche par compétences.

Dans un premier temps, les chercheurs rassembleront les données disponibles des 10 dernières années pour avoir un portrait de la situation. Dans deux ans, ils entreprendront une enquête nationale auprès de 4000 directions d’école. Deux ans plus tard, ils questionneront 14 000 enseignants. En même temps que ce troisième volet, cinq groupes de 100 enseignants seront suivis sur une période de cinq ans afin d’observer l’évolution des tendances.

La collecte de données et le programme lui-même sont structurés autour de quatre thèmes: les départs à la retraite, le renouvellement du personnel et les conditions d’insertion de la relève; l’impact des réformes structurelles et administratives; la formation du personnel, la professionnalisation de la fonction et les compétences à acquérir; et finalement les NTIC, les réformes pédagogiques et leur degré de pénétration dans la pratique quotidienne.

Selon Maurice Tardif, il s’agit de la première recherche du genre à être effectuée à l’échelle canadienne. «C’est la première fois qu’un consortium de chercheurs s’attaque à ces questions cruciales et fondamentales. L’objectif est à la fois de mieux comprendre la situation, d’améliorer les pratiques et de fournir de l’information aux décideurs.»

C’est aussi le seul projet en sciences de l’éducation à avoir été retenu par le CRSH dans le cadre de son programme de recherches concertées. «Le comité d’évaluation a été épaté par le projet, qui touche à toutes les dimensions du sujet tout en se fondant sur une approche comparative et longitudinale», a déclaré Yves Mougeot, qui représentait le CRSH à l’annonce du financement. À ses yeux, ce projet devrait stimuler le débat public sur les enjeux intellectuels, politiques et sociaux liés à l’éducation et mettre à jour de nouvelles pistes de recherche.

Résistance aux réformes

Le thème de cette recherche n’est pas sans rappeler le rapport La condition enseignante produit il y a une quinzaine d’années par le Conseil supérieur de l’éducation. Cette enquête effectuée auprès des enseignants avait conduit à la conclusion suivante: «Laissez-nous souffler!» Depuis lors, les réformes ont continué de se suivre à un rythme soutenu.

Pour le responsable du projet, il n’est pas impossible que les chercheurs arrivent au même constat. Toutefois, malgré les nombreuses réformes, la façon d’enseigner aurait selon lui très peu varié. «Les réformes sont souvent imposées et téléguidées dans l’ignorance de la réalité vécue dans la classe, affirme-t-il. Et la classe est un lieu de résistance aux réformes. Est-ce par manque de financement? Est-ce parce qu’elles sont irréalistes? L’école a aussi un rôle de transmission d’une culture et d’une tradition, ce qui tend à freiner les réformes.»

Maurice Tardif, qui est également directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante, situe par ailleurs ce projet dans le contexte de la nouvelle économie du savoir, où les enseignants ont un rôle crucial à jouer: «Ils sont les acteurs du renouvellement de la société de connaissance», souligne-t-il.

Les principaux partenaires du projet sont Statistique Canada, le Conseil des ministres de l’éducation du Canada, de même que de nombreux organismes du milieu de l’enseignement, dont l’Association canadienne des directeurs d’école et la Fédération canadienne des enseignants.

Daniel Baril



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications