Édition du 11 mars 2002 / Volume 36, numéro 23
 
  Vivre avec la catastrophe
Les catastrophes naturelles ou technologiques risquent d’être de plus en plus nombreuses. Hélène Denis nous dit comment y faire face.

  

Hélène Denis a élaboré une approche de gestion de la catastrophe
inspirée de la gestion des grands projets d’ingénierie.

Elle n’a rien d’un prophète de malheur. Son volume s’ouvre toutefois sur une perspective plutôt sombre, mais sûrement réaliste: les catastrophes risquent de se multiplier au cours des prochaines années et seront peut-être pires que celles qu’on a connues jusqu’ici.

Hélène Denis, professeure à l’École Polytechnique, spécialiste de la gestion du risque sociotechnologique, vient de publier un livre qui comble un grand vide dans ce domaine en émergence, La réponse aux catastrophes: quand l’impossible survient.

Le pronostic de l’auteure ne relève pas de la divination mais plutôt de l’observation. «Nul besoin d’employer une boule de cristal: il suffit de regarder l’état du monde», écrit-elle. Nos ouvrages techniques vieillissent et les conséquences des réductions budgétaires sur leur entretien dans les prochaines années sont imprévisibles.

L’explosion démographique aura un effet aggravant sur les catastrophes à venir. On construit dans des zones à risque, des populations de squatters s’installent autour de bâtiments liés à des industries dangereuses, alors que les mégalopoles et les échanges internationaux ravivent les dangers d’épidémies à l’échelle mondiale.

L’instabilité sociale et politique due à la pauvreté et au chômage laisse en outre présager des désastres d’origine humaine comme des guerres et des attentats terroristes.

Et c’est sans parler des catastrophes naturelles. «Au 20e siècle, on a cru pouvoir maîtriser la nature, mais elle reste toujours imprévisible», souligne Hélène Denis. Plusieurs catastrophes naturelles des dernières années, comme les inondations, les tempêtes de pluie verglaçante et les tornades, ont possiblement un lien avec le réchauffement climatique qui, selon les prévisions, devrait augmenter au cours des prochaines décennies.

Et si le bogue de l’an 2000 a fait plus de peur que de mal, il n’est pas sans illustrer le type de problèmes auxquels il faut être prêt à faire face.

Vivre avec

Convaincue qu’il ne s’agit pas là de simples épiphénomènes, Hélène Denis souligne qu’il faut apprendre «à vivre avec» ces risques.

L’objectif du volume est d’abord et avant tout de former et d’informer les divers intervenants sur la façon de gérer ces événements qui, par définition, sont imprévisibles et difficiles à comprendre. Pour en cerner tous les éléments, la professeure, spécialisée en sociologie des organisations, applique à ces situations une approche inspirée de la gestion des projets d’ingénierie de grande envergure, dont les ramifications sont nombreuses et complexes.

L’approche a été élaborée à la suite de l’incendie des BPC de Saint-Basile en 1988. Le gouvernement du Québec avait alors confié à Hélène Denis le mandat d’analyser la gestion de la crise. L’expertise a été consolidée par l’étude d’autres catastrophes ailleurs dans le monde et par la participation de Mme Denis à la commission Nicolet sur la crise du verglas.

La grille d’analyse tient compte des dimensions à la fois techniques et sociopolitiques de la sécurité du lieu, du sauvetage des victimes, des renseignements scientifiques, de l’évacuation des populations, de la santé publique, de l’assistance à long terme, de la participation des bénévoles et de l’auto-organisation des sinistrés.

La crise du verglas a en outre été à l’origine d’un chapitre complet du volume traitant du maintien des infrastructures essentielles et dont la défaillance entraîne de fortes tensions dans le tissu social. Par «infrastructures essentielles» on entend les mégasystèmes de services stratégiques qui assurent le fonctionnement d’une société. Elles incluent la distribution d’énergie, les réseaux d’information, les services bancaires, les services de transport, l’approvisionnement en eau et en nourriture, les services d’urgence et les services gouvernementaux.

La culture de sécurité civile

Au sujet de cette dernière composante des catastrophes, Hélène Denis fait ressortir l’importance d’un nouveau concept, la culture de sécurité civile, qui consiste à partager les responsabilités de gestion entre les différents paliers gouvernementaux, les entreprises privées et la population. «Il y a dans ce virage un enjeu de société, affirme-t-elle. Cela exige un changement dans la culture, en particulier dans la grille de référence percevant les risques. Cette approche remet en cause notre politique de l’autruche, qui fait que nous refusons de voir les risques et d’adopter des mesures de renforcement.»

Ce volume constitue un complément à un premier ouvrage publié par Hélène Denis en 1998 et qui portait plus particulièrement sur la prévention du risque. Ces deux volumes s’adressent non seulement aux étudiants en gestion de catastrophes, mais aussi aux responsables des services d’urgence, aux gestionnaires d’entreprises privées ou publiques, aux représentants des médias, aux responsables d’organismes de bénévoles et à toute personne désireuse de comprendre ce qui peut advenir en situation de catastrophe.

Daniel Baril

Hélène Denis, La réponse aux catastrophes: quand l’impossible survient, Montréal, Presses internationales Polytechnique, 2002, 318 p.



 
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