Édition du 25 mars 2002 / Volume 36, numéro 25
 
  Une débrouillarde chez les débrouillards
Stéphanie Barker étudie la vulgarisation scientifique chez les jeunes.

Marie-Victorin: le géant vert fait partie d’une série de bandes dessinées sur les grands scientifiques canadiens financée par la fondation Historica. Œuvre de l’illustrateur Réal Godbout (avec l’aide de Marie-Pier Élie), cet épisode relate la carrière du fondateur du Jardin botanique et professeur à l’Université de Montréal. Il a été publié dans un numéro récent des Débrouillards.

Après 15 pages du dernier numéro du magazine Les Débrouillards, destiné aux jeunes de 8 à 12 ans, le lecteur a déjà survolé la nanotechnologie, la microscopie électronique, l’aérodynamisme, le génie des matériaux, la robotique, la chimie des solutions, l’astrophysique, la cardiopathie des diabétiques, le développement durable et la longévité des mammifères. Sans compter les BD, les lettres des lecteurs, le babillard du club et les annonces publicitaires. Imaginez la suite: le mensuel fait 38 pages et parfois plus!

«Et encore, cela n’est qu’un aspect du mouvement des Débrouillards, présents dans les médias écrits, à la télévision et sur Internet. Un mouvement qui s’est propagé dans 19 pays», signale Stéphanie Barker, qui en a fait l’objet de sa recherche. Elle vient de déposer un mémoire de maîtrise sur la vulgarisation scientifique chez les jeunes au Département de communication. Un mémoire qui a laissé pantois son directeur, André Caron. «C’est un des meilleurs mémoires des dernières années au Département», confie-t-il.

La jeune femme préfère renvoyer les éloges à tous ces gens qui ont constitué le mouvement des Débrouillards, qui est sans équivalent dans le monde industrialisé. «Aux États-Unis, le gouvernement essaie de favoriser la culture scientifique chez les jeunes en investissant des millions de dollars dans différents projets de l’American Association for the Advancement of Science. Avec un succès mitigé. Ici, les jeunes en redemandent et le mouvement reçoit très peu d’aide de l’État.»

Stéphanie Barker

Fondé il y a 20 ans par un sociologue engagé auprès des jeunes des milieux défavorisés, Félix Maltais, le Club des débrouillards s’est imposé lentement jusqu’à ce qu’on diffuse une émission de télé animée notamment par Grégory Charles et Marie-Soleil Tougas. La popularité du mouvement (et de la revue) s’est alors considérablement accrue.

Mais on parle ici et là du «mouvement» des Débrouillard. Quel mouvement? «Des jeunes se réclament des “Débs” même s’ils ne sont pas actifs dans les clubs ou abonnés à la revue, note Mme Barker. C’est devenu “cool” de s’intéresser aux sciences et aux technologies. Il suffit d’aller dans les écoles pour le constater. L’ère du maigrichon à lunettes, le nez dans les livres, est révolue. La connaissance, c’est pour tout le monde.»
 
La science sans chercheurs
Lorsqu’on feuillette la revue ou qu’on visionne une émission des Débrouillards, une chose nous saute aux yeux: la quasi-absence des chercheurs professionnels, universitaires et titulaires de doctorat. Par conséquent, la langue de bois n’est pas de mise. Pour faire de la bonne vulgarisation, faut-il donc se passer des hommes et femmes de science?

«Ils sont plus présents qu’on pense, répond l’étudiante, mais ils n’occupent pas le devant de la scène. Ils siègent au conseil d’administration du Club des débrouillards, notamment, et sont engagés dans les réseaux régionaux.»

Mouvement décentralisé, les Débrouillards? Et comment! Neuf conseils de développement du loisir scientifique (CDLS) couvrent l’ensemble du territoire de sorte qu’un enfant de Val-d’Or, de Dolbeau ou de Sept-Îles peut participer à des activités scientifiques autant que celui qui habite le Plateau-Mont-Royal ou Outremont. Ce sont les CDLS qui organisent, par ailleurs, les expo-sciences.

Les activités se déroulent le samedi ou le dimanche, mais plusieurs écoles primaires et secondaires ont intégré des trouvailles du Club dans leur programme pédagogique. Il faut préciser que tout cela fonctionne de façon plutôt «conviviale»: il n’y a pas d’entente contractuelle entre les différents volets du mouvement. Certes, les personnes qui adhèrent au Club reçoivent un carte de membre, mais un grand nombre de jeunes se disent «débs» tout simplement parce qu’ils ont participé à un atelier à l’école ou ailleurs. Personne ne s’en plaint.
 
Le professeur Scientifix a 20 ans
Le magazine Les Débrouillards, distribué par Bayard, compte 35 000 abonnés. Depuis sa création, en janvier 1982, par l’agence Science-presse et le Conseil de développement du loisir scientifique, 210 numéros de la revue ont vu le jour. Par ailleurs, le mouvement a produit 40 livres, 250 émissions de télévision, 1200 chroniques, des centaines de pages Web et des milliers d’activités d’animation.
Malgré ce succès indéniable, tant au Québec qu’à l’étranger, les bâtisseurs ne veulent pas crier victoire. La participation varie considérablement d’une région à l’autre, et les filles ont tendance à délaisser le magazine et les animations au profit de lectures et d’activités… d’adolescentes.
Si certains jeunes se sentent un peu forcés de lire la revue à laquelle leur tante Irène les a abonnés, l’émission de télévision est, en revanche, très bien perçue par les parents. Au point de devenir un élément de négociation: «Si tu manges tes brocolis, tu pourras regarder Les débrouillards
M.-R.S.
 
Peut-on attribuer aux Débrouillards, qui ont initié plusieurs générations d’enfants aux plaisirs de la science, l’excellente performance des jeunes d’ici aux concours internationaux? «Je ne saurais le dire, car ma recherche ne portait pas sur cet aspect-là, répond Mme Barker. Il y a une étude à faire sur ce sujet: que sont devenus les Débrouillards? À mon avis, ils ne se sont pas tous dirigés vers la recherche, mais ils ont reçu une base en science. Et ça, c’est précieux.»
 
Une débrouillarde Energizer
Pour rédiger son mémoire, Stéphanie Barker a rencontré les neuf coordonnateurs régionaux, de même que le fondateur du Club et la responsable des émissions de télévision, Diane England. Elle a effectué une imposante recherche méthodologique, ce qui a exigé plusieurs mois de travail. Mais l’effort semble aller de soi pour cette femme de 31 ans qui a toujours travaillé pendant ses études.

En mars 2000, elle a été nommée directrice des relations publiques et communautaires de la fondation Historica, un organisme privé voué à la promotion de l’éducation en histoire canadienne. Durant les 10 dernières années, tout en terminant un baccalauréat en science, technologie et société à l’Université du Québec à Montréal, elle a collaboré à de nombreux projets de recherche au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie et à l’École de gestion de l’UQAM, puis au Groupe de recherche sur les jeunes et les médias de l’Université de Montréal. Elle a aussi travaillé à la mise en valeur du site archéologique du parc du Lac-Leamy, à Hull, et participé aux activités des Scientifines, un organisme de bienfaisance consacré au développement de compétences chez les jeunes filles de milieux défavorisés à Montréal.
 
Stéphanie Barker n’a pas connu les Débrouillards lorsqu’elle était enfant. Mais son père psychologue et son oncle chimiste ont toujours su nourrir sa curiosité. Mme Barker ne croit pas qu’elle aurait fait une bonne chercheuse. «Je suis archigénéraliste. C’est pour ça que je me suis retrouvée dans un domaine lié aux communications.»
 
En tout cas, c’est une généraliste qui a réussi: lorsqu’elle a terminé son baccalauréat à l’UQAM, sa moyenne était de 4,19. La meilleure note de toute l’Université…

Mathieu-Robert Sauvé


 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications