Édition du 25 mars 2002 / Volume 36, numéro 25
 
  Pare-chocs contre pare-chocs
L’aménagement du territoire ne résoudra pas l’engorgement des ponts de la Rive-Sud.

Selon les professeurs Michel Barcelo (ci-dessus) et Paul Lewis, les mesures de densification de la population pourraient aggraver les problèmes de transport si les habitudes ne sont pas changées.

«Pont Jacques-Cartier, c’est pare-chocs à pare-chocs.» Tout indique que les préposés à la circulation n’auront pas besoin de changer cette rengaine au cours des prochaines années.

Selon une approche en vogue en urbanisme, la densification de la population dans des zones bien desservies par les transports en commun pourrait résoudre la congestion des réseaux routiers aux heures de pointe. Mais pour la région de Montréal, ce type de solution n’aurait presque aucun effet à court terme à cause des faibles taux de croissance démographique et économique prévus d’ici 2021.

C’est la conclusion à laquelle arrivent deux chercheurs de l’Institut d’urbanisme, Paul Lewis et Michel Barcelo, dans une étude commandée par la Commission de consultation sur l’amélioration de la mobilité entre Montréal et la Rive-Sud, mieux connue sous le nom de commission Nicolet. Les deux auteurs sont toutefois d’avis qu’il faut procéder à des aménagements visant la densification dans certains secteurs résidentiels, mais avec un objectif d’effet à très long terme, c’est-à-dire sur un horizon de 50 à 60 ans.

«Il faut d’abord dire que Montréal se distingue des autres grandes villes nord-américaines par un taux déjà plus élevé qu’ailleurs d’usagers des transports en commun, affirme Paul Lewis. Un travailleur sur trois utilise ce type de transports pour se rendre de la Rive-Sud à Montréal, alors qu’en contexte semblable dans d’autres grandes métropoles la proportion n’est parfois que de 2 sur 10.»

Selon le taux de croissance démographique prévu pour les 20 prochaines années, seulement 200 000 personnes viendront s’ajouter aux 3,7 millions de résidants de la région métropolitaine. Même si toute cette nouvelle population s’installait à proximité du métro, cela n’aurait qu’un très faible impact sur l’accroissement de la clientèle des transports en commun et sur la réduction du nombre de voitures aux heures de pointe. L’effet pourrait être pratiquement nul si cette nouvelle population était financièrement à l’aise et donc encline à utiliser l’automobile.

De plus, la densification n’attirerait pas la clientèle des banlieues qui se déplace déjà en voiture et qui a choisi un environnement à faible densité démographique. À ceci s’ajoutent les changements survenus dans le type de ménage: malgré les nombreuses constructions résidentielles des dernières années à Montréal, la population n’augmente pas parce que de plus en plus de gens vivent seuls. Dans les meilleurs cas, ces nouvelles habitations ne peuvent d’ailleurs recevoir qu’un couple avec un enfant; ceux qui voudront des familles plus nombreuses devront aller ailleurs. Et pour couronner le tout, ces habitations sont vendues avec un garage double!

Changer les habitudes

«Augmenter la densité ne signifie donc pas que plus de gens vont utiliser les transports en commun, conclut Michel Barcelo. Si les habitudes ne changent pas, cela pourrait même aggraver le problème puisque davantage de gens possèdent une voiture.»

Avec la dispersion des lieux de travail et l’«éclatement» des destinations — on amène les enfants à la garderie, on dépose le conjoint à son bureau, on va à l’épicerie —, les automobilistes sont peu portés à changer ces habitudes. Et dans un environnement peu dense comme Montréal, les transports en commun ne peuvent être efficaces dans toutes les directions.

Selon le professeur Barcelo, la densification aurait pu être une solution à l’étalement urbain au début des années 60, alors que moins de gens possédaient une automobile. «Aujourd’hui, l’amélioration des conditions de vie a amené une augmentation du nombre de voitures et l’adoption de comportements liés à cet usage.»

Quant à l’aménagement de nouvelles infrastructures routières, cela ne réglerait le problème qu’à très court terme. «En augmentant la capacité du réseau routier, on accroît sa fréquentation, affirme M. Lewis. Ceux qui utilisaient les transports en commun seront portés à prendre leur voiture, ceux qui répartissaient différemment leurs heures de travail pour éviter les bouchons partiront aux heures de pointe, et l’on revient rapidement à la même situation.»

Bref, les causes des problèmes de circulation vont demeurer même si l’on vise à densifier la population. Les deux professeurs sont toutefois d’avis qu’il faut procéder à de tels aménagements pour éviter que la situation empire à long terme. En attendant, les scénarios basés sur le statu quo indiquent que le temps de déplacement entre la Rive-Sud et Montréal aux heures de pointe du matin, qui est actuellement de 48 minutes, va continuer d’augmenter jusqu’en 2021 pour diminuer par la suite en raison d’une réduction des déplacements due au vieillissement de la population.

Daniel Baril



 
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