Édition du 22 avril 2002 / Volume 36, numéro 27
 
  Le grand catalogue des insectes du Québec
Avec plus de 1,5 million d’insectes, la collection Ouellet-Robert joue un rôle essentiel dans la conservation du patrimoine naturel.

Louise Cloutier, coordonnatrice des collections zoologiques au Département de sciences biologiques, et Pierre-Paul Harper, responsable de la collection Ouellet-Robert, ont encore fort à faire pour identifier les quelque 1,5 million d’insectes de la collection.

Des centaines, des milliers, des centaines de milliers d’insectes! Dans toutes les armoires, tous les classeurs, tous les tiroirs, tous les recoins du laboratoire. Des insectes partout!

Vous êtes à la Collection entomologique Ouellet-Robert, du Département de sciences biologiques. Avec plus de 1 500 000 insectes représentant au-delà de 21 000 espèces, dont 12 000 québécoises, cette collection est la deuxième en importance au Québec et probablement la plus vaste sur les espèces indigènes.

«On doit cette collection à une initiative de deux clercs de Saint-Viateur, Joseph Ouellet et André Robert, qui, dans les années 30, ont voulu doter l’ancien institut de biologie d’une collection de référence, explique Pierre-Paul Harper, professeur au Département de sciences biologiques. Elle sert encore aujourd’hui à l’enseignement de l’entomologie au premier cycle en plus de fournir du matériel de recherche aux étudiants des cycles supérieurs.»

La collection de base comprenait surtout des insectes issus des régions où les clercs avaient des résidences, soit principalement de la vallée du Saint-Laurent, de la grande région de Montréal, d’Oka et du mont Tremblant. Au fil des années, elle s’est continuellement enrichie de nouveaux spécimens apportés par des collectionneurs privés et par les étudiants à l’occasion de leurs travaux de recherche.

Le Département de sciences biologiques est ainsi le dépositaire de la collection la plus complète qui soit d’insectes de la baie James répertoriés avant la mise en eau des bassins hydroélectriques. On y retrouve également tout le matériel recueilli au début des années 80 dans le cadre du projet Archipel (qui visait à protéger la valeur écologique des berges de la région de Montréal) et celui ramassé sur le site de la Station de biologie des Laurentides.

Ce matériel scientifique a grossi cette année avec les 80 000 coléoptères de l’Abitibi que Pierre Paquin a réunis pour sa thèse sur la biodiversité des sites forestiers. On peut d’ailleurs admirer quelques représentants de cet ordre gigantesque — qui compte pas moins de 500 000 espèces dans le monde — sur le site de l’exposition virtuelle Curieux univers (http://www.curieuxunivers.umontreal.ca , bouton «Classification»).

Et tout récemment, un entomologiste amateur léguait par don testamentaire sa collection personnelle de 5000 papillons, comptant 479 espèces, tous attrapés dans la région de Sorel. «Cette collection a une valeur scientifique certaine parce que les spécimens, recueillis de façon continue sur une dizaine d’années, représentent toutes les phases de la vie de l’insecte, souligne Pierre-Paul Harper. En plus de nous fournir un échantillon d’une région qu’on ne connaissait pas, elle nous permet d’observer s’il y a eu des variations chez les papillons au cours de cette période.»

Ce catocala est un papillon de nuit très répandu au Québec. La couleur de ses ailes du bas servirait de mécanisme de défense: en présence d'un prédateur, le papillon les ouvre rapidement, ce qui provoquerait un effet de surprise suffisant pour échapper au prédateur.

La carte de la biodiversité

La collection Ouellet-Robert a également pour mission de poursuivre l’identification des insectes du Québec. «Plusieurs espèces sont mal connues et il en reste plusieurs qui ne sont pas encore identifiées», affirme le professeur. Parmi les 700 à 800 espèces de coléoptères rapportées par Pierre Paquin, les chercheurs en ont découvert une cinquantaine qui n’avaient jamais été identifiées auparavant. Ceci peut paraître étonnant, mais à peine 10 % des espèces d’insectes qui peuplent la terre auraient été identifiées alors que le nombre total d’espèces est estimé à 10 millions.

En tant que chercheur et responsable de la collection Ouellet-Robert, Pierre-Paul Harper travaille lui-même à la révision taxonomique de plusieurs espèces aquatiques, qui ont besoin d’être redécrites de façon plus précise. Le professeur poursuit également des recherches sur la répartition spatiale de différents insectes des cours d’eau du nord québécois, des Laurentides et des Appalaches, en collaboration avec Louise Cloutier, coordonnatrice des collections zoologiques.

Par ce travail d’identification, la collection joue un rôle essentiel dans l’établissement de la carte de la biodiversité du Québec. Le matériel permet d’observer l’évolution de cette biodiversité par rapport aux données dont on dispose sur le début du siècle dernier et permettra aux chercheurs de la fin de ce siècle de faire de même. «On sait par exemple que plusieurs espèces recueillies dans la région de Saint-Jean-d’Iberville en 1866 ont aujourd’hui disparu», affirme M. Harper.

La cicindèle, un joli coléoptère aux reflets turquoise et parfois émeraude, était candidate au titre d’insecte emblématique du Québec en 1998. Mais les électeurs lui ont préféré le papillon amiral.

Le rôle de dépositaire de la faune entomologique de la collection pourrait d’ailleurs prendre plus d’importance dans les prochaines années puisque le gouvernement du Québec a retenu, parmi les principaux objectifs du projet de stratégie sur la diversité biologique, le développement des connaissances sur les organismes vivants qui composent le patrimoine naturel.

«On constate un net regain d’intérêt pour les questions liées à la diversité biologique après la période creuse des années 70 et 80. Mais le problème de la relève se pose», s’inquiète Pierre-Paul Harper. Des trois entomologistes que le Département comptait il y a peu de temps, il ne reste que lui, à demi-temps, et il voit l’heure du départ approcher. Le démantèlement des équipes d’entomologistes à Agriculture et Agroalimentaire Canada aurait par ailleurs eu un effet négatif sur l’attraction exercée par cette discipline auprès des étudiants.

L’entomologiste voit donc le projet de stratégie annoncé par le gouvernement comme une bouffée d’air frais et il mise également sur le travail de base qu’accomplissent les entomologistes amateurs. «Ce sont les amateurs qui ont favorisé l’essor de l’entomologie au Québec et ils disposent ici d’un réseau sans pareil au Canada. Ils constituent un moteur essentiel pour l’avancement des connaissances», estime le professeur. Mais à son avis, le développement de l’entomologie scientifique devra se faire en lien avec la biologie de l’évolution et nécessitera l’intégration des nouveaux outils de l’informatique et de la biologie moléculaire.

Daniel Baril



 
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