Édition du 21 mai 2002
 
  Pourra-t-on un jour faire repousser un membre amputé?
La régénération tissulaire permet de penser que c’est possible.

«Chez les enfants et les adolescents, la phalangette a la propriété de repousser au complet», affirme Stéphane Roy.

«Si la tête de l'hydre peut repousser, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire pousser de nouveau le bras d'un être humain», a dit un jour Jean Rostand. La science est encore loin d'un tel exploit, mais plusieurs chercheurs tentent de comprendre quels sont les mécanismes à l'œuvre derrière l'étonnant phénomène de régénération tissulaire qu'on observe chez certains animaux.

Stéphane Roy, professeur au Département de stomatologie de la Faculté de médecine dentaire, étudie ce phénomène chez l'axolotl — un amphibien de l'ordre des urodèles comme la salamandre et qui vit dans les lacs du Mexique — dans le but lointain d'en tirer une application aux tissus humains.
«L'axolotl est doté d'une stupéfiante capacité de régénération, souligne-t-il. Il reconstitue non seulement sa peau, ses muscles et ses os — donc des membres en entier —, mais tous les tissus de son corps y compris ses yeux et son système nerveux central comme sa moelle épinière et la partie antérieure de son cerveau.»

Le professeur travaille notamment à la localisation des gènes actifs dans ce phénomène en recourant à la biologie moléculaire. Il a déjà adapté des vecteurs viraux qui permettent de surexprimer certains gènes afin d'observer la production de protéines chez l'axolotl.

Dédifférenciation

Si l'on ignore à peu près tout de la mécanique génétique en cause dans la régénération, on en sait un peu plus sur ce qui se passe à l'échelle cellulaire à l'endroit même de la reconstruction.

«La régénération ne se fait pas à partir de cellules souches mais à partir de cellules différenciées qui se dédifférencient, explique Stéphane Roy. Ces cellules proviennent de la peau, plus précisément du derme. Elles vont ensuite se différencier de nouveau pour produire tous les autres tissus nécessaires à la reconstruction du membre: peau, muscles, os, etc. On parle alors de “transdifférenciation”. On ignore si ce phénomène est enclenché par la mécanique génétique qui entraîne la différenciation lors de l'embryogenèse. La présence d'une terminaison nerveuse est également indispensable; si le nerf est sectionné plus haut que l'amputation, la régénération ne s'effectue pas.»

Voilà donc qui est génial: des cellules déjà différenciées redeviennent totipotentes et donnent naissance aux bonnes cellules aux bons endroits pour reproduire le bon membre, identique au précédent et sans aucune cicatrice!

L'être humain aussi


Un axolotl d'une dizaine de mois. À l'âge adulte, soit vers deux ans et demi, ce lointain cousin mexicain de la salamandre mesure une vingtaine de centimètres.

La capacité de régénération tissulaire n'est pas unique aux urodèles. Plus bas dans l'arbre de la classification des espèces, les hydres font encore mieux: chaque section du corps va redonner un animal complet. Même chose avec la planaire, un petit ver plat de un à deux centimètres très abondant dans les eaux douces.

«Contrairement à ce qui se passe chez l'axolotl, la régénération chez la planaire se fait à partir de cellules non différenciées appelées “néoblastes”», précise Stéphane Roy. Comme les cellules souches, les néoblastes possèdent une potentialité morphogénétique complète permettant de reconstruire tous les tissus.

Un peu plus haut dans l'échelle, on retrouve encore cette propriété chez le ver de terre: deux sections vont donner deux vers complets, mais la régénération est ici plus limitée et dépend de l'endroit où survient la section.

Ces exemples montrent que la capacité de régénération semble diminuer au fur et à mesure qu'on monte dans l'échelle de l'évolution. Mais elle n'a pas pour autant disparu chez l'être humain. «Chez les enfants et les adolescents, la phalangette, dernière phalange des doigts, a la propriété de repousser au complet», affirme le chercheur. Ce fait, qu'on a déjà qualifié de croyance populaire, est documenté dans la littérature scientifique.

De l'avis du professeur Roy, la perte de cette capacité, qui est remplacée chez l'être humain par la cicatrisation, a son utilité. «Si l'on coupe une patte de l'axolotl, il va pouvoir continuer de nager et de se nourrir normalement pendant toute la période de régénération, qui peut prendre plus de un mois. Mais chez les animaux terrestres, il n'est pas avantageux de rester avec une plaie ouverte; la cicatrisation, plus rapide que la régénération, permet d'assurer la survie.»

Le processus est possiblement inhibé génétiquement chez les animaux terrestres et Stéphane Roy aimerait bien pouvoir le réactiver. On se plaît à rêver des applications possibles que permettrait le contrôle d'un tel processus. «En médecine dentaire, on pourrait régénérer les pertes osseuses de la mâchoire, qui affectent 80 % des personnes âgées. On pourrait aussi compenser la perte des dents, l'usure des gencives ou traiter les cancers de la bouche. Pensons également à la régénération des tissus chez les grands brûlés.»

Même si ces applications ne sont pas pour demain, Stéphane Roy demeure optimiste. «Des signes montrent qu'il pourrait être possible de stimuler ce processus et l'on peut s'attendre à des progrès rapides grâce aux biotechnologies, affirme-t-il. La compréhension des lois en cause pourrait en outre favoriser une plus grande maîtrise du clonage de tissus, voire le remplacer.»

Daniel Baril



 
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